mardi 30 novembre 2010

L’articulation du droit constitutionnel et du droit européen

Au sein de l’Union européenne, l’articulation entre l’ordre communautaire et l’ordre national est réalisée par les cours suprêmes de chaque Etat :
  • dans l'ordre communautaire, un Etat ne peut opposer sa propre Constitution pour faire échec ni au droit communautaire (conformément à la jurisprudence de la CJUE : CJUE, 1964, Costa c/ ENEL et CJUE, 1978, Simmenthal), ni à la CEDH ; 
  • dans l'ordre national cependant, c'est la primauté des principes constitutionnels qui s'affirme. 
Certes, chaque Etat assure cette articulation à sa manière, mais il existe néanmoins un certain nombre de points communs dont deux principaux.


1/ Les cours suprêmes nationales ne s'interrogent pas sur la conformité du droit communautaire dérivé avec les droits fondamentaux proclamés par le droit constitutionnel national tant qu'ils sont aussi protégés par le droit communautaire.


A/ Concernant la France, la Constitution garantit la participation de ce pays à l'UE. L'art. 88-1 C dispose que : 
"la République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leur compétences" (art. 88-1 C issu de la révision constitutionnelle de 1992). 
S'appuyant sur cet article, le Conseil constitutionnel (CC) estime que "la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle" (CC, 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique). Il ajoute qu'il appartient au seul juge communautaire de contrôler le respect par une directive communautaire d'une loi de transposition. 

Lorsqu'un conflit de droit existe entre une loi de transposition et une directive, le juge communautaire doit être saisi d'une question préjudicielle. La question préjudicielle est une question juridique posée lors d'un procès par un tribunal d'un ordre donné à un tribunal appartenant à un ordre différent pour mieux régler la question principale qui lui est soumise.


B/ En cas de difficulté sérieuse (d'interprétation), le juge judiciaire et le juge administratif peuvent lever un doute éventuel sur la conformité d'une directive à un principe constitutionnel effectivement protégé en droit communautaire en posant une question préjudicielle à la CJUE (ce que ne fait pas le CC). C'est la CJUE qui tranche, car elle considère qu'elle est seule compétente pour déclarer invalide un acte de droit dérivé (CJUE, 1987, Foto Frost). Du fait du champ large couvert par le droit communautaire et le nombre important de lois prises pour transposer les directives, cette jurisprudence joue dans de nombreux cas.


C/ Quant au CC, il refuse de se prononcer sur la conformité d'une loi de transposition qui se borne "à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises" d'une directive (CC, 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique). Ainsi une directive inconditionnelle et précise constitue un écran entre la Constitution et la loi.

Dans la même décision, le CC émet toutefois une réserve nationale lorsqu'il existe "une disposition expresse de la Constitution" qui fait obstacle à la transposition en droit interne d'une directive. Cette réserve lui conserve encore une large mesure d'appréciation. 


D/ Deux jurisprudences, l'une du CE, l'autre du CC, assurent largement la suprématie du droit communautaire. Elles réaffirment toutes les deux que la transposition correcte des directives est un impératif de valeur constitutionnelle du fait de l'art. 88-1 C
  • CE, 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine : à propos d'un moyen tiré de ce qu'un décret assurant la transposition d'une directive précise et inconditionnelle méconnaîtrait un principe de valeur constitutionnelle, le juge administratif (JA) doit dans un premier temps rechercher si ce principe est protégé de manière effective dans l'ordre juridique communautaire : 
    • si oui, le JA doit rechercher si la directive transposée par le décret contesté est conforme à la règle ou au principe général du droit communautaire en cause. Le JA écarte le moyen invoqué en l'absence de difficulté sérieuse (c'était le cas en l'espèce). S'il y a difficulté sérieuse, une question préjudicielle doit être posée à la CJUE ;
    • sinon (c'est-à-dire si le principe constitutionnel invoqué n'est pas protégé de manière effective par une règle ou un principe général du droit communautaire), le juge national peut examiner directement la question de la conformité du décret litigieux à ce principe constitutionnel propre au droit national ; 
  • CC, 2008, Loi relative aux OGM : le CC donne pour la première fois un effet différé à une censure de dispositions législatives dont la déclaration immédiate d'inconstitutionnalité aurait été de nature à compromettre l'exigence constitutionnelle de transposition des directives. Cette décision fixe au 1er janvier 2009 la date d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité qu'elle prononce, ce qui donne le temps au législateur de remplacer les dispositions de transposition jugées contraires à la Constitution. 


2/ Les cours suprêmes se réservent toutefois le droit de faire valoir une spécificité nationale pour l'application effective de droits fondamentaux garantis par leur Constitution, mais pas au niveau du droit communautaire.


A/ Dans CC, 2006, Loi relative au droit d'auteur, après avoir réaffirmé qu'il lui appartenait de veiller au respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives posée à l'art. 88-1 C, le CC précise davantage son rôle en l'encadrant par deux limites : 
  • la transposition d'une directive ne peut pas aller à l'encontre d'un principe inhérent à "l'identité constitutionnelle de la France" sans le consentement du constituant ; 
  • la déclaration de non-conformité à l'art. 88-1 C ne peut se faire que d'une disposition législative "manifestement incompatible" avec la directive qu'elle doit transposer. Le contrôle de la loi par rapport à la directive est introduit, mais il est limité à l'incompatibilité manifeste
Par conséquent, une loi de transposition qui se borne à reprendre une directive est à l'abri de toute critique constitutionnelle tant qu'elle ne heurte pas l'identité constitutionnelle de la France. Dans le cas contraire, il revient au CC de décider.

Pour l'essentiel, les droits fondamentaux consacrés au niveau constitutionnel et garantis par le droit communautaire se recoupent, même si les deux ensembles ne coïncident pas complètement. Il subsiste ainsi une réserve de compétence nationale que le CC définit en référence à l'identité constitutionnelle de la France dans l'hypothèse où un droit constitutionnel français n'aurait pas de protection effective en droit communautaire. Cette hypothèse est peu fréquente. Elle sera encore réduite lorsque la Charte des droits fondamentaux aura valeur de droit positif (cette Charte a été signée en 2000 par l'UE, elle ne doit pas être confondue avec la CEDH). Mais cette hypothèse n'est pas exclue (cf. la laïcité et la continuité du service public n'ont pas d'équivalent en droit communautaire).


B/ Concernant les autres cours suprêmes des pays faisant partie de l'Union européenne : 
  • en Allemagne : par la jurisprudence So lange, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe juge qu'elle n'a pas à s'interroger sur la conformité du droit communautaire dérivé avec les droits fondamentaux proclamés par la Loi fondamentale allemande (équivalent de la Constitution) tant que ceux-ci sont effectivement protégés par le droit communautaire (raisonnement voisin de la France) ; 
  • en Italie : par l'arrêt Fragd (1989), la Cour constitutionnelle italienne consacre la suprématie du droit communautaire, sous la seule réserve des "principes suprêmes de l'ordre constitutionnel italien" (proche de l'identité constitutionnelle de la France). 

C/ La réserve nationale n'est toutefois pas retenue lorsque c'est la méconnaissance d'un texte de droit communautaire dérivé des droits garantis par la CEDH qui est invoquée. C'est en tout cas ce que montre l'arrêt CE, 2008, Conseil national des barreaux. Le CE reprend la jurisprudence de la CJUE et constate que, dans l'ordre juridique communautaire, les droits fondamentaux garantis par la CEDH sont protégés en tant que principes généraux du droit communautaire (PGDC). C'est donc au juge national de vérifier qu'une directive est compatible avec les droits fondamentaux proclamés par la Convention.

Deux possibilités : 
  • soit il n'existe pas de difficulté sérieuse : le juge national s'occupe d'écarter le moyen invoqué ; 
  • soit il y a une difficulté sérieuse : il pose alors une question préjudicielle à la CJUE. En l'espèce, dans l'arrêt Conseil national des barreaux, comme la Cour d'arbitrage de Belgique avait déjà formulé une telle question, le CE a pu se prononcer sans un nouveau renvoi préjudiciel (dialogue entre les Cours suprêmes et la CJUE). Il existe ainsi une communauté des principes appliqués. Au travers des PGDC, l'ensemble des droits affirmés par la CEDH est repris au niveau communautaire. Le droit dérivé doit donc respecter ces droits. En cas de difficulté sérieuse, seule la CJUE se prononce.

Le principe d’universalité budgétaire


Le principe d'universalité désigne le rassemblement en une seule masse de l'ensemble des recettes publiques sur laquelle doit s'imputer l'ensemble des dépenses publiques. Selon le Conseil constitutionnel (CC, 1982, Loi de finances pour 1983), le principe d'universalité possède deux fonctions :
  • une fonction technique : il assure la clarté des comptes de l'Etat ; 
  • une fonction politique : il permet un contrôle efficace du Parlement. 
Le principe d'universalité est énoncé à l'art. 6 LOLF : "le budget décrit, pour une année, l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'Etat. Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses". Par conséquent, le budget : 
  • décrit l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'Etat ; 
  • prévoit qu'il est fait recette du montant intégral des produits sans contraction entre les dépenses et les recettes ; 
  • prévoit que l'ensemble des recettes assure l'exécution de l'ensemble des dépenses. 

1/ Le principe d'universalité ressemble au principe d'unité selon lequel les dépenses et les recettes de l'Etat doivent figurer dans un seul document budgétaire. Mais contrairement au principe d'unité, le principe d'universalité porte sur le contenu de l'autorisation parlementaire. Il implique donc deux exigences : 
  • la non-compensation : recettes et dépenses doivent être inscrites au budget pour leur montant intégral, sans contraction entre les unes et les autres ; 
  • la non-affectation : à l'intérieur du budget, les recettes et les dépenses constituent deux parties autonomes, aucune recette ne doit donc être affectée à une dépense particulière. 

a) L'exigence de non-compensation signifie que toutes les dépenses et toutes les recettes doivent être inscrites au budget pour leur montant intégral. Par conséquent : 
  • la méthode utilisée est celle du budget brut : le budget net étant le solde après contraction des dépenses et des recettes. Cette méthode du budget brut empêche un service public de présenter des prévisions de dépenses défalquées (c'est-à-dire retranchées d'une somme d'argent) des recettes escomptées. Le Parlement se prononce ainsi sur les recettes et les dépenses, et non pas seulement sur le solde ; 
  • les administrations ne peuvent pas se procurer par elles-mêmes des ressources qui ne leur seraient pas attribuées par le Parlement : comme toute dépense est imputée sur le montant des crédits disponibles, toute recette sera reversée au budget général et non pas directement à l'administration en question. 
Dans CC, 1994, Loi de finances pour 1995, le transfert à un établissement public, en l'espèce le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), de la prise en charge de la majoration de pensions versées à certains fonctionnaires retraités a été déclaré non conforme à la Constitution, au motif que les dépenses concernant les agents de l'Etat (rémunérations, pensions) présentent par nature un caractère permanent : elles ne peuvent donc pas être inscrites ailleurs qu'au sein du budget de l'Etat.


b) L'exigence de non-affectation signifie qu'une recette ne peut pas être affectée au financement d'une dépense particulière. Toutes les recettes sont indistinctement destinées à la couverture de l'ensemble des dépenses inscrites au budget. Il n'y a donc pas en principe de spécialisation des recettes. Par conséquent : 
  • les autorisations de dépenses s'effectuent sur un montant déterminé : l'affectation d'une recette à une dépense conduirait au contraire à une nécessaire variation des dépenses qui serait fonction, chaque année des recettes ; 
  • les gaspillages sont en principe évités : une administration ne peut pas disposer de plus de ressources que celles dont elle a besoin ; 
  • l'arbitrage de l'Etat peut se faire en fonction de l'intérêt général : il réalise un arbitrage global de l'affectation des ressources dont il dispose. 
Si, sur le plan politique, il arrive qu'un impôt nouveau soit justifié par la nécessité de financer une action particulière (par exemple la création de la vignette auto en 1956 pour financer des mesures sociales en faveur des personnes âgées ou l'Impôt solidarité sur la fortune en 1988 pour financer le RMI), sur le plan juridique, il n'existe aucun lien nécessaire entre une recette fiscale perçue par l'Etat et une dépense budgétaire (le financement du RMI ne dépend pas du produit de l'ISF). Cette exigence présente néanmoins des inconvénients du fait de son caractère potentiellement improductif : 
  • elle peut favoriser l'inertie administrative : les administrations ne sont pas incitées à développer des recettes accessoires puisqu'elles n'en bénéficieront pas ; 
  • elle dissimule au citoyen l'intérêt du prélèvement auquel il est assujetti : une spécialisation des recettes lui permettrait au contraire de comprendre pourquoi il paie et renforcerait la légitimité de l'impôt ou son efficacité socio-économique (taxe sur les tabacs et alcool pour financer la lutte contre le cancer par exemple). 
Dans CC, 1993, Loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle : l'affectation au profit d'organismes sociaux d'une partie des droits de consommation sur les tabacs (recette de l'Etat) pour compenser une charge supportée par les caisses d'assurance vieillesse est jugée contraire au principe d'universalité budgétaire. En effet, l'affectation de tout ou partie d'une dépense déterminée est interdite (sous réserve des exceptions prévues par l'Ordonnance de 1959).

La LOLF, tout en réaffirmant le principe de l'universalité budgétaire, le renforce également en étendant ce principe à la loi de finances elle-même puisque doit y figurer, désormais, tous les flux financiers ainsi que les actifs et la dette de l'Etat. Le Parlement contrôle à présent toutes les dépenses qui sont financées par prélèvements obligatoires, à l'exception de celles des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale (même s'il exerce un contrôle via le vote de la loi de financement de la sécurité sociale). 


2/ Le principe d'universalité connaît quelques exceptions à ses deux exigences de non compensation et de non affectation.


a) Les dérogations à l'exigence de non-compensation : outre l'exception des comptes spéciaux, il faut mentionner la dérogation la plus importante qui est celle des prélèvements sur recettes (PSR), c'est-à-dire des sommes qui sont déduites du montant brut de l'ensemble des recettes et affectées à un type de dépenses spécifiques : 
  • les PSR au profit des collectivités territoriales représentent 85 Mds € en 2010 (qui sont en forte hausse, mais qui comprennent pour 32 Mds € la compensation pour suppression de la taxe professionnelle) ;
  • les PSR au profit de l'Union européenne représentent 18 Mds € en 2010. 

b) Les dérogations à l'exigence de non-affectation : selon l'art. 16 LOLF, "certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses. Ces affectations prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux ou de procédures comptables particulières au sein du budget général, d'un budget annexe ou d'un compte spécial". On en trouve à la fois dans le budget général et en dehors du budget général.

Les affectations dans le budget général sont : 
  • les fonds de concours (art. 17 LOLF) : ce sont des procédures permettant d'ouvrir des crédits et de les affecter au paiement de certaines dépenses. Il existe 550 fonds de concours (mais 10 % d'entre eux concentrent l'essentiel des crédits) que l'on distingue en deux catégories de fonds : 
    • les fonds de concours par nature : fonds versés par l'UE ou les collectivités territoriales pour contribuer aux dépenses d'intérêt public de l'Etat ;
    • les fonds de concours par assimilation : produit de recettes à caractère non fiscal tels que les rémunérations de services rendus par un ministère particulier pour prêt d'agents par exemple ; 
  • le rétablissement de crédit (art. 17 LOLF) : c'est le reversement à un service de l'Etat des sommes qu'il a indûment ou provisoirement payées et qui lui sont réaffectées (par exemple : changement d'administration d'un fonctionnaire qui perçoit deux traitements) ; 
  • l'affectation exceptionnelle : elle doit résulter d'une disposition de lois de finances d'initiative gouvernementale. Par exemple, une partie des droits de consommation sur les tabacs a été affectée par la loi de finances pour 1990 à la Caisse nationale d'allocations familiales, puis à la Caisse nationale d'assurance-maladie par les lois de finances pour 1993 et 1997. 
Les affectations à côté du budget général sont : 
  • les budgets annexes : ils figurent dans la loi de finances, mais sont présentés à côté du budget général ; 
  • les comptes spéciaux du Trésor : figurent aussi dans la loi de finances, mais ils sont présentés à côtés du budget général et des budgets annexes. Non seulement ils peuvent déroger à l'exigence de non-compensation lorsque leurs opérations se compensent (exemple : les comptes de commerce), le Parlement ne votant alors que sur une autorisation de découvert maximum à ne pas dépasser en cours d'exercice, mais ils peuvent aussi déroger à l'exigence de non-affectation lorsqu'ils réalisent une affectation de recettes à des dépenses (exemple : les comptes d'affectation spéciale).

lundi 29 novembre 2010

Le principe d’unité budgétaire

Le principe d'unité budgétaire constitue l'une des cinq règles techniques fondamentales du droit budgétaire. Il désigne l'obligation pour l'ensemble des recettes et des dépenses de l'Etat de figurer dans un compte unique intitulé : budget général. Il faut également noter que ce principe s'applique aux budgets des autres personnes publiques (collectivités territoriales). Il est énoncé à l'art. 6 LOLF : "l'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont retracées sur un compte unique, intitulé budget général"

Toutefois, il existe certaines atténuations à ce principe à travers l'existence de budgets annexes et de comptes spéciaux du Trésor. Les comptes spéciaux sont des comptes ouverts hors budgets. Ils ont longtemps permis de dissimuler certaines opérations au Parlement. Leur multiplication dans les années 20 dans le but de dissimuler les déficits réels de l'Etat au Parlement a conduit l'Ordonnance de 1959 à réintégrer ces comptes spéciaux dans la loi de finance. Cette réintégration a été reprise par la LOLF.


1/ Chaque année, la loi de finances prévoit et autorise l'ensemble des recettes et des dépenses des administrations publiques. Selon le principe d'unité budgétaire, le budget général doit comporter l'ensemble des recettes et des dépenses imputé à l'Etat. Ce principe possède deux justifications :
  • politique : l'unité permet de faciliter le contrôle parlementaire. Le Parlement a en effet accès à une présentation de la totalité des ressources et des charges dans un document synthétique, ce qui lui permet d'avoir une vue d'ensemble de la situation budgétaire de l'Etat. Cette situation tranche avec la IVe République où le budget de l'Etat résultait de plusieurs lois, ce qui privait les parlementaires de la possibilité d'apprécier l'économie générale du budget ;
  • technique : l'unité permet de déterminer si le budget est équilibré, c'est-à-dire de mesurer l'ampleur exacte du déficit.


2/ Malgré le principe d'unité, chaque loi de finances comporte en plus du budget général, deux autres comptes différents :
  • les budgets annexes,
  • les comptes spéciaux du Trésor.

a) Les budgets annexes retracent les opérations des "services de l'Etat non dotés de la personnalité morale" et dont l'activité consiste à produire "des biens ou des prestations de services donnant lieu au paiement de redevances, lorsqu'elles sont effectuées à titre principal par lesdits services" (art. 18.I LOLF). Le même article prévoit que leur création ou l'affectation d'une recette à un budget annexe ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances. En outre, un budget annexe "constitue une mission" (art. 18.II LOLF), c'est-à-dire un ensemble de programmes concourant à une politique définie. La présentation des budgets annexes suit les normes du plan comptable (deux sections : l'une retraçant les recettes et les dépenses de fonctionnement ; l'autre les recettes et dépenses relatives aux opérations d'investissement et aux variations de l'endettement). 

La particularité des services dotés d'un budget annexe est leur capacité à constituer des réserves pour faire face à des charges futures, ce que ne peuvent pas faire les services ordinaires de l'Etat. Les budgets annexes sont cependant solidaires du budget général de l'Etat (un solde figurant au budget général est affecté par le résultat des budgets annexes). 

Aucun mouvement de crédits ne peut être effectué entre le budget général et le budget annexe (sauf pour les crédits pour amortissement de la dette dans le cas où les recettes seraient supérieures aux prévisions des lois de finance). Mais jusqu'en 1994, il était courant qu'une contribution financière issue du budget annexe des PTT soit versée à l'Etat.

Les budgets annexes figurent dans la loi de finances votée par le Parlement. Ils constituent un aménagement du principe d'unité par leur présentation comptable spécifique, à côté du budget général. Le principe d'unité vaut néanmoins pour chaque budget annexe (tout comme le principe d'universalité). Malgré tout, il reste possible pour le législateur de retrancher une disposition législative de la liste des dépenses dont le budget annexe doit assumer la charge, ce qui rend possible le transfert de cette dépense à un établissement public (par exemple en 1995 : le CC ne peut pas intervenir à propos du transfert au Fonds de solidarité vieillesse des majorations de pensions versées par le budget annexe des prestations sociales agricoles). Dans le Rapport sur l'exécution des lois de finances de 2002, la Cour des comptes souligne qu'aucun budget annexe ne répond pleinement à la définition donnée par la loi organique (art. 18 LOLF), il apparaît donc souhaitable de réfléchir à la mise au point d'un cadre juridique approprié.

Il existe deux budgets annexes pour un volume global de 2,2 Mds € pour 2011 :
  • les Publications officielles et information administrative (200 M €) : il est le résultat de la fusion du budget annexe des Journaux Officiels avec l'ancien compte de commerce de la Documentation française ;
  • le Contrôle et exploitations aériens (2 Mds €) : il retrace les opérations des services de l'aviation civile qui donnent lieu au paiement de redevances, de taxes et de prix (organisation et contrôle du trafic aérien, guidage des avions).
Ce volume est en nette diminution par rapport aux années 1990 du fait de :
  • la suppression du budget annexe des PTT en 1991 (29 Mds€ en 1990) ;
  • la transformation du budget annexe des prestations sociales agricoles en établissement public (15 Mds€ en 2004).

b) En ce qui concerne maintenant les comptes spéciaux, on peut les définir comme les comptes concernant les dépenses bénéficiant d'une affectation particulière de recettes et des opérations qui présentent un caractère temporaire (sauf exceptions). Leur gestion est assurée par le ministre compétent. 

Les gouvernements successifs n'ont cessé de réduire le nombre de comptes spéciaux du Trésor (passage de 76 en 1970 à 24 en 2010). Tout comme les budgets annexes, les comptes spéciaux sont intégrés dans une loi de finances. Ils ne peuvent être ouverts que par une loi de finances (art. 19 LOLF) et leurs opérations ne peuvent être prévues, autorisées et exécutées dans les mêmes conditions que les opérations du budget général (art. 20 LOLF).

La technique du compte spécial permet :
  • de favoriser le contrôle parlementaire sur certaines opérations pouvant être réalisées au moyen de l'établissement public (comme un établissement public est placé sous le contrôle du ministère de tutelle, le Parlement ne dispose que d'un contrôle indirect sur le budget de celui-ci) ;
  • de s'adapter à une situation particulière (par exemple en 2000, la création du compte "Fonds d'approvisionnement des charges de retraite et du désendettement de l'Etat" a permis d'affecter le produit des redevances d'utilisation des fréquences allouées aux réseaux mobiles de téléphones au financement des retraites et au désendettement).
Il existe quatre catégories de comptes spéciaux (art. 19 LOLF) qui se répartissent en deux groupes (art. 20 LOLF). Ces deux groupes de compte réalisent une affectation de recettes à des dépenses, mais :
  • les comptes à crédits sont dotés d'évaluation de recettes et de crédits, ce sont :
    • les comptes d'affectation spéciale : par exemple, les pensions et les participations financières de l'Etat) ;
    • les comptes de concours financier : prêts et avances consentis par l'Etat ;
  • les comptes à découvert réalisent une compensation, l'autorisation votée par le Parlement ne portant pas sur leurs recettes et dépenses, mais sur un découvert maximum, ce sont :
    • les comptes de commerce : opérations à caractère industriel et commercial effectuées à titre accessoire par des services de l'Etat ;
    • les comptes d'opération monétaire : opérations de caractère monétaire telles que l'émission de monnaie.

En intégrant budgets annexes et comptes spéciaux au sein de la loi de finances, la LOLF permet de limiter la pratique de la débudgétisation. Cette technique constitue un artifice budgétaire destiné à dissimuler l'ampleur des déficits en faisant sortir certains budgets du budget général. Le Conseil constitutionnel s'associe à cette lutte en considérant certaines dépenses comme budgétaires par nature (CC, 1994, Loi de finances pour 1995). Il reste cependant des budgets autonomes qui sont les budgets des personnes publiques distinctes de l'Etat et dont les comptes ne sont pas intégrés dans les lois de finances. Il s'agit notamment des collectivités territoriales (qui bénéficient d'une autonomie financière garantie par l'art. 72-2 C), mais aussi des établissements publics nationaux (le Musée du Louvre) ou encore des organismes privés assurant des missions de service public (organismes de sécurité sociale dont le contrôle par le Parlement s'effectue dans le cadre des lois de financements de la sécurité sociale). Cette pratique est régulièrement dénoncée car elle permet d'échapper à la rigueur du droit budgétaire. 

dimanche 28 novembre 2010

Les impôts locaux

Les impôts locaux désignent les impôts spécifiquement affectés au financement des collectivités territoriales. Ils se distinguent des impôts nationaux qui bénéficient à l'Etat. 

Par rapport à l'Etat, le pouvoir fiscal des collectivités territoriales apparaît comme limité puisqu'elles ne peuvent ni créer, ni modifier, ni supprimer un impôt (seul le Parlement a ce pouvoir). En revanche, les collectivités territoriales détiennent la capacité de voter le montant des impôts locaux ainsi que les taux d'imposition, dans le cadre toutefois, des limites fixées par la loi (un taux plafond de variation et un système de liaison de certains taux ont été institués par la loi de 1980). Elles disposent ainsi d'une réelle autonomie financière, autonomie garantie par ailleurs par la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 (art. 72-2 C).

La fiscalité locale représente, en 2009, 111 Mds € qui se décomposent d'impôts :

  • directs : 65 % des ressources fiscales, soit 71 Mds € ;
  • indirects : 35 % des ressources fiscales, soit 40 Mds €.


1/ Comme pour l'Etat, la fiscalité locale se compose d'impôts directs et des impôts indirects (cf. L'impôt), mais 65 % des impôts locaux sont des impôts directs et, plus particulièrement, les quatre grands impôts directs locaux que sont :
  • la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ;
  • la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) ;
  • la taxe d'habitation (TH) ;
  • la taxe professionnelle (TP) – supprimée en 2010 et remplacée par la contribution économique territoriale (CET) à partir de 2011.
Ces quatre impôts directs sont aussi appelés "les quatre vieilles" (sous-entendu les quatre vieilles contributions directes qui étaient à l'époque la contribution foncière, la contribution mobilière, la patente et l'impôt portant sur les portes et les fenêtres). La fiscalité locale est, en effet, une fiscalité ancienne mise en place, d'abord, au bénéfice de l'Etat au lendemain de la Révolution française. A l'époque, la richesse économique reposait essentiellement sur la propriété foncière et immobilière, ce qui explique l'assiette choisie pour ces impôts. Au XXe siècle, l'Etat opte pour une modernisation de son système fiscal et remplace progressivement les impôts issus de la période révolutionnaire par des impôts assis sur une base d'imposition plus large. Il créé ainsi l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) en 1914 et 1917, l'impôt sur les sociétés (IS) en 1948 et surtout la TVA en 1954. Parallèlement, il transfert les « quatre vielles » aux collectivités territoriales.

Dans les années 1970, les impôts locaux connaissent une série de modifications. La loi du 31 décembre 1973 assoit les deux contributions foncières et la contribution mobilière sur une base d'imposition commune : la valeur locative cadastrale (le loyer théorique du bien possédé). Elles prennent le nom à ce moment là de "taxes foncières" et "taxe d'habitation". Puis, un an et demi plus tard, la loi du 29 juillet 1975 remplace la patente (ancien impôt sur le commerce et l'industrie) par la taxe professionnelle.

Depuis la loi du 10 janvier 1980, les collectivités locales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre peuvent fixer, dans les limites instaurées par la loi, le taux des quatre taxes. Cette loi instaure en effet deux conditions : un taux plafond de variation et un système de liaison de certains taux. Cependant, c'est l'Etat qui continue d'assurer le recouvrement de cet impôt via le réseau du Trésor public. L'Etat fait donc une avance aux collectivités territoriales durant l'année pour qu'elles puissent bénéficier de cette ressource.


2/ Les principaux impôts locaux sont les suivants.


a) Les taxes foncières : en 2010, elles représentent un produit global de plus de 24,5 Mds €. Elles sont assises sur la valeur locative cadastrale dont le Code général des impôts prévoit une révision tous les 6 ans, mais la dernière révision générale des propriétés bâties remonte à 1970 et celle des propriétés non bâties à 1961. Par conséquent, l'assiette ne cesse de s'éloigner de la valeur réelle des biens et de la capacité contributive des foyers fiscaux. 

En outre, les taxes foncières sont sujettes à de nombreuses exonérations. L'exonération de la TFPB bénéficie aux bâtiments et propriétés publics, ainsi qu'à des populations ciblées (selon l'âge, le handicap ou le revenu). Elle peut aussi se faire pour des raisons économiques (entreprises nouvelles, logements sociaux, bâtiments ruraux à usage agricole). Quant à l'exonération de la TFPNB, elle concerne à titre d'exemple, les parts régionale et départementale pour les propriétés agricoles ou encore les bois et plantations.


b) La taxe d'habitation : en 2010, elle représente un produit de 17 Mds €.  Elle concerne 29 millions de foyers imposables. Elle est donc l'imposition des revenus payée par le plus grand nombre de contribuables en France (17 millions de foyers fiscaux payent l'impôt sur le revenu). En 2005, son taux moyen était de 20,90 % avec de fortes disparités (4% à Neuilly, plus de 40% à Marquette-lez-Lille). Sa part régionale ayant été supprimée en 2001, elle n'est plus prélevée qu'au profit des communes, des départements et des EPCI à fiscalité propre. Elle est assise sur la valeur locative cadastrale. 

Comme les taxes foncières, la taxe d'habitation est sujette à diverses exonérations attachées à la nature des locaux et, surtout, à la situation des occupants en raison de leur revenu fiscal de référence ou de situations particulières (âge, handicap…). Il existe aussi des abattements pour charges de famille ou à la discrétion des collectivités locales.


c) La taxe professionnelle : elle est remplacée par la contribution économique territoriale (CET) depuis le 1er janvier 2010 afin d'alléger le poids de la fiscalité locale pesant sur les entreprises. En attendant sa mise en place effective prévue pour 2011, l'Etat s'est engagé à verser une compensation intégrale équivalente à la TP perçue en 2009. Cette compensation relais s'élève en 2010 à 32,5 Mds €

Le nouvel impôt, la CET, est composé d'une :
  • cotisation foncière des entreprises (CFE) assise sur les valeurs foncières des entreprises et dont le taux est déterminé par les collectivités bénéficiaires ;
  • cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) assise sur la valeur ajoutée dont le taux est déterminé par le Parlement et qui se substitue à l'actuelle cotisation minimale. Le taux de la CVAE est fixé au niveau national de 0% pour les entreprises dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas 500.000 €/an à 1,5% pour celles dont le CA excède 50 M€/an afin de ne pas pénaliser les PME.
Afin de limiter le coût de la réforme de la TP, une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) est mise en place. Elle limite les gains des grandes entreprises de réseaux (télécom, énergie, ferroviaire) qui bénéficient de la réforme alors que leur activité est peu vulnérable au risque de délocalisation.


3/ L'enjeu de la réforme est une spécialisation progressive de la fiscalité locale. Depuis 2011, chaque sorte de collectivité territoriale bénéficie désormais d'une fiscalité particulière :

  • les communes et EPCI : TH, les deux TF, CFE, CVAE (26,5 % du produit), IFER et taxe sur les surfaces commerciales (TasCom) ;
  • les départements : TF, CVAE (48,5 % du produit), IFER, solde de taxe sur les conventions d'assurance (TSCA) et de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ;
  • les régions : CVAE (25 %) du produit), IFER. 


4/ La fiscalité indirecte représente environ 35% des recettes des collectivités territoriales. 

  • les communes : elles bénéficient d'une large palette de taxation indirecte des activités comme la taxe communale sur l'électricité, la taxe sur la publicité, la taxe de trottoirs, la taxe destinée aux transports en communs, etc. ;
  • les départements : ils disposent de la taxe départementale de publicité foncière et du droit départemental d'enregistrement ;
  • les régions : elles fixent librement la taxe sur la carte grise et elles perçoivent le droit timbre de la taxe sur les permis de conduire. 



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samedi 27 novembre 2010

L’impôt

L'impôt vient du verbe "imposer": une imposition est donc une obligation de payer. Il désigne une somme pécuniaire requise autoritairement des contribuables (les assujettis à l'impôt peuvent être des personnes physiques ou des personnes morales) à titre définitif et sans contrepartie identifiable, et dont la finalité est de couvrir des charges publiques. 


1/ L'impôt constitue l'essentiel des ressources de l'Etat (en 2011, les recettes nettes du budget général sont de 353 Mds €, dont l'origine est à 95 % fiscale, soit 336 Mds € et à 5 % non fiscale, soit 17 Mds €). Il forme avec les cotisations sociales une catégorie plus générale : les prélèvements obligatoires (cf. Les prélèvements obligatoires). Il permet à l'Etat d'accomplir ses missions régaliennes (justice, police, défense), ses missions de service public (enseignement, santé), mais aussi ses missions socio-économiques (lutte contre l'inflation, lutte contre l'alcoolisme, favorisation de la natalité, etc.), voire de justice sociale (redistribution des revenus). Il joue donc de moins en moins un rôle purement financier permettant de couvrir les dépenses publiques et de plus en plus un rôle socio-économique servant à la mise en place de politiques publiques.

Les principes généraux de la fiscalité se trouvent énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789). Ce texte reconnaît la nécessité de l'impôt"pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable" (art. 13 DDHC). Le même article précise que cette contribution commune doit être "également répartie entre tous les citoyens, en raison de leur faculté". Les citoyens ou leurs représentants ont, en outre, le droit "d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée" (art. 14 DDHC). 

La Constitution de 1958 réserve à la loi le droit de déterminer "l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures" (art. 34 C), notamment à travers les lois de finances annuelles et les lois spéciales avec leurs dispositions diverses d'ordre financier. Elle interdit cependant aux parlementaires de diminuer une ressource publique sans la compenser par une ressource équivalente (cf. Le principe de l'irrecevabilité financièreart. 40 C).

Le Conseil constitutionnel veille, quant à lui, au respect du principe d'égalité qui a valeur constitutionnelle (CE, 1923, Couitéas : principe de l'égalité devant les charges publiques). Il a récemment validé la procédure du bouclier fiscal au motif que celle-ci permettrait d'éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (CC, 2005, LF 2006).

Rappelons que le bouclier fiscal, mis en place par la loi de finances pour 2006, instaure un principe nouveau en France (mais qui a cours en Espagne, au Danemark et en Suède) selon lequel aucun contribuable ne peut être taxé au-delà d’un certain seuil (fixé à 60 % en 2006, puis abaissé à 50 % par la loi de 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, à partir de 2008) sur son revenu au titre des impôts directs et des contributions sociales (IR, ISF, impôts locaux, CSG et CRDS). 


2/ Il existe plusieurs façons de classer les diverses sortes d'impôts :
  • selon la manière dont ils sont perçus (directs/indirects) ;
  • selon la manière dont ils frappent le contribuable (progressifs/proportionnels) ;
  • selon leur destination. 

a) On distingue ainsi selon la manière dont ils sont perçus les impôts indirects et les impôts directs :
  • les impôts directs : ils sont acquittés directement auprès du Trésor par les contribuables ;
  • les impôts indirects : ils sont acquittés indirectement par les consommateurs finaux (par exemple, la TVA est payée par les entreprises, mais répercutée sur les prix donc acquittée par les consommateurs).
Il faut souligner qu'outre cette différence de perception, les impôts directs et indirects n'ont pas la même assiette. L'assiette désigne la somme servant de base au calcul de l'impôt. Le contribuable est imposé sur cette base qui peut s'appliquer aux revenus liés au travail ou au capital, à une transaction commerciale, etc. Ainsi, les impôts directs sont assis sur une matière imposable (par exemple : les salaires, les revenus du capital ou la propriété immobilière), alors que les impôts indirects sont perçus à l'occasion d'une opération concernant la matière imposable (par exemple : sa production, sa circulation ou sa consommation).


b) On distingue également les impôts selon la manière dont le taux de l'impôt, qui désigne le pourcentage appliqué à l'assiette pour déterminer le montant de l'impôt à acquitter, frappe le contribuable :
  • les impôts progressifs : le taux de l'impôt augmente avec l'assiette, autrement dit, plus l'assiette grossit et plus le taux d'imposition est fort, il existe ainsi par exemple différentes tranches dans l'impôt sur le revenu ;
  • les impôts proportionnels : le taux d'imposition reste le même quelle que soit son assiette (l'impôt sur les sociétés).

c) On distingue enfin les impôts selon leur destination :
  • les impôts nationaux : ce sont les impôts qui rapportent à l'Etat ;
  • les impôts locaux : ce sont les impôts qui rapportent aux collectivités territoriales.

3/ Les principaux impôts nationaux sont les suivants (cf. Les impôts locaux font l'objet d'une autre fiche).

a) Les impôts sur le revenu :
  • l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) : il consiste dans l'imposition du contribuable sur l'ensemble de ses revenus. Il s'impose aux salaires et aux traitements, aux pensions de retraite, aux revenus des capitaux mobiliers, aux revenus fonciers et aux plus-values des cessions de biens mobiliers ou immobiliers. Son barème est progressif et c'est un impôt direct. En 2010, son rendement est de 55 Mds €, soit 16 % des recettes fiscales. Son rendement reste faible du fait de l'exonération de plus de la moitié des foyers fiscaux ;
  • l'impôt sur les sociétés (IS) : il est payé par les entreprises (les deux tiers de cet impôt sont payés par 2 % des entreprises). Il est assis sur le bénéfice net imposable (différence entre les recettes et les charges). Son rendement est de 52 Mds €, soit 15 % des recettes fiscales. Son taux est de 33 %, mais les PME dont le CA est inférieur à 7,6 millions € sont assujettis à un taux de 15 % ;
  • les contributions sociales (CSG et CRDS) : ces impôts ne sont pas affectés à l'Etat, mais au financement de la Sécurité sociale. Leur assiette est large et frappe trois types de revenu : les revenus d'activité et de remplacement, les revenus du patrimoine et les placements à revenu fixe. La CSG s'élève à 7,5 % et la CRDS à 0,5 %. Ils sont retenus à la source par les employeurs. En 2010, la CSG et la CRDS ont rapporté 90 Mds €, soit presque deux fois plus que l'IRPP.

b) Les impôts sur la dépense :
  • la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) : elle est l'impôt le plus connu et représente la ressource principale de l'Etat. Son produit est évalué à 171 Mds €, soit 49 % du montant de l'ensemble des recettes fiscales. La TVA est assise sur le prix des produits avec divers taux (19,6 % au taux normal, 5,5 % pour le taux réduit et 2,6 % pour le taux super réduit) ;
  • la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) : il s'agit d'un impôt indirect auquel sont soumis les produits pétroliers (carburants, fioul, gazole) au moment où ils sortent des raffineries pour être acheminés vers les réseaux de distribution. Contrairement à la TVA, il s'agit d'un droit d'accise, c'est-à-dire assis non pas sur la valeur, mais sur la quantité consommée (les variations des prix du pétrole n'ont donc pas d'incidence sur le produit de la TIPP). Son rendement est évalué à 14 Mds €, soit 4 % des recettes fiscales ;
  • les droits sur la consommation d'alcool et de tabac : le produit de ces droits sont affectés au financement de la Sécurité sociale, ils rapportent près de 12 Mds €.

c) Les impôts sur le patrimoine :
  • les droits de mutation : ils s'appliquent principalement aux ventes d'immeubles et aux successions et rapportent près de 9 Mds € (une partie bénéficie aux collectivités locales) ;
  • l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) : c'est un impôt passionnel. Il fut créé en 1982, supprimé en 1986, puis rétabli en 1989. Est assujetti à l'ISF, toute personne physique possédant un patrimoine d'une valeur supérieure à 790 000 € (œuvres d'art et biens professionnels non compris). Son rendement est faible (3,5 Mds €), mais son existence symbolique (sa suppression en 2002 était envisagée, mais le gouvernement a reculé devant l'impopularité de la mesure). L'instauration d'un "bouclier fiscal" a toutefois diminué le nombre de redevables. Ce "bouclier fiscal" garantit aux contribuables que le total des impôts à acquitter ne dépasse pas 50 % de leur revenu annuel.


vendredi 26 novembre 2010

Les grands principes budgétaires

Les grands principes budgétaires renvoient aux règles techniques traditionnelles considérées comme nécessaires à une bonne gestion des finances publiques. Ils visent principalement à faciliter le contrôle du Parlement sur les dépenses et les recettes des institutions publiques. Ils ont donc une signification à la fois technique et politique.

Apparus au milieu du XIXe siècle, ces grands principes s'inscrivent dans l'histoire de la démocratie parlementaire et ont donc connu quelques infléchissements liés à la modernisation du droit budgétaire à l'époque contemporaine. Appliqués strictement, ils rendraient l'action budgétaire trop rigide et peu adaptée aux exigences d'une gestion efficace des deniers publics. Ils connaissent donc une série de dérogations qui conduisent à les fragiliser, mais qui ne les empêchent nullement de continuer à influencer la manière dont fonctionne le budget de l'Etat.

Ces grands principes sont au nombre de cinq : 
  • l'annualité : l'autorisation parlementaire ne vaut que pour une année ;
  • l'unité : un compte unique pour l'ensemble des recettes et des dépenses ;
  • l'universalité : non-affectation et non-compensation des recettes et des dépenses ;
  • la spécialité : spécialisation par mission et programme des crédits ;
  • la sincérité : l'exactitude des informations contenues dans la loi de finance. 

1/ L'annualité met l'accent sur le fait que le vote parlementaire n'autorise le gouvernement à percevoir les impôts que pour une période d'un an. Elle est énoncée à l'art. 1er LOLF : "les lois de finances, déterminent pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat", en précisant que "l'exercice s'étend sur une année civile" et à l'art. 6 LOLF : "le budget décrit, pour une année, l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'Etat". Elle comporte plusieurs dérogations, notamment celle permettant au gouvernement, par le biais des lois de finances rectificatives (LFR), de modifier la loi de finances initiale (LFI).


2/ L'unité désigne l'obligation pour l'ensemble des recettes et des dépenses de l'Etat de figurer dans un compte unique (le budget général). Elle est énoncée à l'art. 6 LOLF : "l'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont retracées sur un compte unique, intitulé budget général". Elle comporte deux dérogations qui sont les budgets annexes, ainsi que les comptes spéciaux du Trésor. Les comptes spéciaux étant des comptes ouverts hors budgets, ils permettaient de dissimuler certaines opérations au Parlement. Ce phénomène s'appelle la débudgétisation et désigne le report par l'Etat du financement de certaines actions sur d'autres personnes morales. Leur multiplication dans les années 20 a conduit l'Ordonnance de 1959 à réintégrer ces comptes spéciaux dans la loi de finance, dispositifs que la LOLF a repris à son compte.


3/ Le principe d'universalité ressemble à la notion d'unité, mais s'en distingue car, alors que la règle d'unité vise à rassembler dépenses et recettes dans un document unique, l'universalité désigne le rassemblement en une seule masse de l'ensemble des recettes publiques sur laquelle doit s'imputer l'ensemble des dépenses publiques. On le trouve énoncé à l'art. 6 LOLF : "il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses". Il implique donc deux exigences :
  • la non-compensation : recettes et dépenses doivent être inscrites au budget pour leur montant intégral ;
  • la non-affectation : les recettes sont toutes confondues dans un compte unique au Trésor, aucune recette ne peut donc être affectée à une dépense particulière.
Ce principe connaît également de nombreuses dérogations dont celle des budgets annexes qui permet d'affecter des recettes procurées à un service de l'Etat par la commercialisation de biens et services à la couverture de dépenses spécifiques à ce service.


4/ Le principe de spécialité renvoie à la spécialisation par programme et par mission des crédits votés en loi de finances. Il est énoncé à l'art 7.I LOLF : "les crédits ouverts par les lois de finances pour couvrir chacune des charges budgétaires de l'Etat sont regroupés par mission relevant d'un ou plusieurs services d'un ou plusieurs ministères" et à l'art. 7.II LOLF : "les crédits sont spécialisés par programme ou par dotation". La LOLF est fondée sur le principe d'une budgétisation orientée vers les résultats, à partir d'objectifs définis. Les crédits ne sont donc plus inscrits au budget de l'Etat par nature de dépenses, mais sont spécialisés par mission et par programme :
  • la mission (50 environ) : ensemble de programmes concourant à une politique publique pouvant relever d'un ou plusieurs ministères ;
  • le programme (150 environ) : ensemble cohérent d'actions relevant d'un même ministère et auquel sont associés des objectifs, des résultats attendus et des évaluations.
Des dérogations sont prévues à la spécialisation des crédits par programmes, notamment les fonds spéciaux pour les services secrets qui sont librement affectés par le Premier ministre ou encore le budget des assemblées parlementaires.


5/ Enfin, le principe de sincérité a pour enjeu de garantir l'exactitude des informations dans la loi de finance et la fiabilité de l'équilibre budgétaire annoncé. Il est consacré par l'art. 27 LOLF : "les comptes de l'État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière", ainsi que l'art. 32 LOLF : "les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler". Le Conseil constitutionnel, auquel il revient de faire respecter ce principe, tient néanmoins compte des aléas inhérents aux incertitudes relatives à l'évolution de l'économie pour apprécier la qualité de la sincérité dans l'évaluation des ressources et des charges, même s'il souligne que le gouvernement a le devoir de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative s'il s'avère que les grandes lignes de l'équilibre de la loi de finances s'écartent sensiblement des prévisions au cours de l'exercice (CC, 2002, Loi de finances pour 2003).

Le budget de l’Etat

Le budget de l'Etat désigne l'acte descriptif des ressources et des charges. La Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en donne la définition suivante : "le budget décrit, pour une année, l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'Etat" (art. 6 LOLF).

Les dépenses publiques de l'ensemble des administrations représentent environ 1 000 Mds €. Elles comprennent les dépenses de l'Etat stricto sensu qui s'élèvent à 350 Mds €, les dépenses des administrations de sécurité sociale : 450 Mds €, et les dépenses des administrations publiques locales : 200 Mds € environ.


1/ Chaque année, le budget de l'Etat doit être voté par le Parlement à travers la loi de finances. La loi de finances constitue l'acte d'autorisation donné par le Parlement au gouvernement de percevoir les ressources et d'autoriser les charges de l'Etat. Selon la LOLF, les lois de finances "déterminent, pour un exercice, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte" (art. 1er LOLF). 

Le budget de l'Etat représente l'expression privilégiée de la politique d'un gouvernement. Gaston Jèze déclarait ainsi en 1922 que "le budget est essentiellement un acte politique". Il constitue un levier essentiel de l'action économique de l'Etat et occupe une place majeure dans l'économie d'un pays (environ 15% du PIB en France). L'histoire du budget de l'Etat permet de retracer les grandes étapes de sa construction : l'Etat régalien du XIXe siècle n'a en effet plus grand chose à voir avec l'Etat-providence du XXe siècle. 

Le passage par le Parlement constitue une épreuve obligatoire pour tout gouvernement chaque année. Il repose historiquement sur le consentement à l'impôt dont les racines sont britanniques :
  • la Magna Carta (1215) : la grande charte accordée par Jean sans Terre à ses barons après la défaite de Bouvines. Le roi admet qu'il ne peut lever l'impôt qu'avec le consentement des représentants des contribuables ;
  • le Bill of Rights (1689) : la pétition des droits imposée à Guillaume d'Orange (devenu le roi d'Angleterre Guillaume III lors de la Glorieuse Révolution) consacre définitivement : le consentement à l'impôt, la périodicité annuelle du consentement parlementaire et l'utilisation de l'impôt conformément au consentement donné.
Les origines françaises du consentement à l'impôt sont plus tardives et remontent à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (26 août 1789) selon laquelle "tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée" (art. 14 DDHC). Cet article 14 pose deux principes :
  • la nécessité d'une autorisation préalable des recettes ;
  • le contrôle de l'exécution des dépenses par les représentants du peuple.
La Déclaration des droits de l'homme fixe également d'autres grands principes budgétaires :
  • art. 13 DDHC : en ce qui concerne l'impôt, cet article établit que "pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable". Il précise que cette contribution doit être répartie équitablement : "elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés" ;
  • art. 15 DDHC : cet article dispose que "la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration", ce qui contraint l'administration à une certaine efficacité dans sa gestion des deniers publics. 


2/ Le budget de l'Etat est encadré par plusieurs catégories de normes juridiques.

a) Tout d'abord, la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que "la loi fixe les règles concernant (…) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures" (art. 34 C). Il appartient donc aux députés et aux sénateurs de consentir à l'impôt. Cet article renvoie également à "une loi organique" pour le détail des conditions d'élaboration du budget. Un autre article dispose que "le Parlement vote les projets de loi dans les conditions prévues par une loi organique" et précise les délais d'adoption du projet de loi de finances (art. 47 C).

b) Cette loi organique n'est autre que la Loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Lancée par Laurent Fabius, alors président de l'Assemblée nationale, et traduite dans une proposition de loi organique déposée durant l'été 2000 à l'Assemblée nationale par le rapporteur général de la commission des finances (Didier Migaud, qui est considéré avec son homologue du Sénat, Alain Lambert, comme le père de la LOLF), la LOLF est la 36e tentative de réforme de la charte des finances de l'Etat que constituait l'Ordonnance organique de 1959 en 2006 et incarne un véritable bond en avant dans la modernisation de la gestion des finances publiques de l'Etat, notamment par l'introduction de la justification au premier euro qui conduit désormais au vote de l'ensemble du budget (alors que sous le régime de l'Ordonnance organique, seuls les nouveaux crédits étaient votés, soit environ 5 % seulement du budget de l'Etat). Cependant un rapport remis en 2006 au Premier ministre rédigé par D. Migaud et A. Lambert fait état de dérives bureaucratiques regrettables de la LOLF qui ont conduit à renforcer les contraintes et les rigidités sources de démotivation des gestionnaires.

c) Par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel, saisi quasi systématiquement depuis 1974 des lois de finances initiales et rectificatives, a été amené à préciser les règles contenues dans l'Ordonnance de 1959 par ses interrogations. Il exerce un contrôle sur le contenu des lois de finances, le respect des principes budgétaires, ainsi que sur l'information du Parlement.

d) Enfin, le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique régit les conditions d'exécution du budget voté. Il répartit également les compétences entre les agents chargés de ces opérations, organise les règles comptables applicables aux opérations et prévoit les procédures de contrôle.

jeudi 25 novembre 2010

Le droit communautaire et la responsabilité de l’Etat

L'influence du droit communautaire a conduit à une évolution du régime de la responsabilité de l'Etat du fait des lois et des décisions de justice. Cette évolution conduit à la construction progressive d'un Etat de droit au niveau européen et vient niveler les différentes législations des Etats européens en la matière. D'une part, les Etats membres peuvent voir leur responsabilité engagée pour les lois qu'ils adoptent si celles-ci s'avèrent contraires au droit communautaire. D'autre part, leur responsabilité est engagée en cas de non respect de l'art. 6 § 1 CEDH relatif au procès équitable ou si les décisions juridictionnelles sont en contradiction avec le droit communautaire.


1/ La jurisprudence de la CJUE exprime des exigences concernant la responsabilité des Etats membres pour les lois qu'ils adoptent. 


A/ Pour la CJUE, la non transposition d'une directive en droit interne engage la responsabilité des Etats et ouvre à leur encontre une possibilité d'action (CJUE, 1991, Francovich).

Le droit français apporte une réponse à cet arrêt de la CJUE un an plus tard, en jugeant que la responsabilité de l'Etat est effectivement engagée par la mise en application de dispositions législatives incompatibles avec les orientations d'une directive (CE, 1992, Sociétés Rothmans international et Philip Morris).


B/ En 2007, l'arrêt Gardedieu donne une portée générale à cette jurisprudence en consacrant la responsabilité de l'Etat du fait des lois indépendamment de toute mesure administrative d'application.

Dans la jurisprudence, la responsabilité de l'Etat en cas de dommages causés par l'exercice du pouvoir législatif pouvait déjà être engagée pour cause de rupture de l'égalité devant des charges publiques, mais pour cela, le dommage devait revêtir un caractère anormal et spécial (CE, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers La Fleurette).

Désormais, avec l'arrêt Gardedieu, cette responsabilité peut être engagée sans que soit exigé ce double caractère anormal et spécial. Dès lors que l'adoption d'une loi méconnaît les engagements internationaux de l'Etat français, l'entier préjudice est réparable (CE, 2007, Gardedieu).


2/ En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat du fait des décisions de justice, le droit européen conduit à atténuer les principes posés par l'arrêt Darmont exigeant une faute lourde pour que soit ouvert un droit à indemnité. 


A/ Selon l'arrêt Darmont, "en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité" (CE, 1978, Darmont). Par conséquent, seule une faute lourde commise par une juridiction administrative durant une procédure de jugement engage la responsabilité de l'Etat, dès lors que cette faute ne résulte pas d'une décision juridictionnelle définitive.

Selon la CEDH, "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial" (art. 6 § 1 CEDH). Afin de répondre à cette exigence de délai raisonnable du jugement (appréciée en regard de la difficulté de l'affaire), le CE estime que tout requérant peut obtenir réparation d'un préjudice résultant de la durée excessive d'une procédure, lorsque cette durée traduit un "fonctionnement défectueux du service public de la justice". Elle ouvre un droit automatique à réparation (CE, 2002, Magiera). En l'espèce, M. Magiera a dû attendre sept ans et demi pour obtenir le jugement d'un dossier qui ne présentait aucune difficulté particulière d'examen.


B/ De surcroît, tout en reprenant les conditions d'engagement de responsabilité développées dans ses arrêts précédents (CJUE, 1991, Francovich et CJUE, 1996, Brasserie du Pêcheur), la CJUE affirme que la responsabilité d'un Etat membre peut être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle, même devenue définitive, est entaché d'une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits à des particuliers (CJUE, 2003, Köbler).

Afin de suivre les règles énoncées dans cette décision Köbler, le CE juge que, même lorsque une décision juridictionnelle définitive est en cause (par exemple une décision du CE lui-même), la responsabilité de l'Etat peut être engagée en cas de méconnaissance manifeste du droit communautaire (CE, 2008, Gestas).


C/ La double atténuation que constituent l'arrêt Magiera (droit automatique à réparation pour dépassement d'un délai raisonnable de jugement) et l'arrêt Gestas (responsabilité de l'Etat engagé en cas de méconnaissance manifeste du droit communautaire) montre toutefois que la jurisprudence Darmont n'est pas abandonnée 
  • le dommage causé par le contenu d'une décision de justice devenue définitive n'est pas réparable ; 
  • le dommage résultant de l'exercice de la fonction juridictionnelle n'est réparable que s'il résulte d'une faute lourde, sauf dans le cas Magiera où une faute simple suffit si la justice n'a pas rendu son jugement dans un délai raisonnable.