vendredi 10 décembre 2010

Le pouvoir réglementaire des ministres

Le pouvoir réglementaire désigne le pouvoir d'édicter des dispositions de caractère général et impersonnel applicables en permanence à tout citoyen. La Constitution confère le pouvoir réglementaire au président de la République et au Premier ministre. En principe donc, les ministres n'ont pas de pouvoir réglementaire. Cependant l'exigence d'une bonne administration a conduit à apporter certains assouplissements à cette règle.


1/ Si la jurisprudence confirme que les ministres ne disposent pas de pouvoir réglementaire, cette règle a néanmoins subi quelques atténuations, notamment dans un souci de bonne administration. 


A/ Si les ministres disposaient aussi d'un pouvoir réglementaire, cela pourrait entraîner des risques de contradiction entre les normes. La jurisprudence affirme donc à plusieurs reprises l'absence de pouvoir réglementaire des ministres :
  • CE, 1954, Institution Notre-Dame-du-Kreisker :  ouvre la possibilité d'un recours pour excès de pouvoir contre toute circulaire ministérielle contenant des dispositions à caractère réglementaire et distingue : 
    • les circulaires interprétatives : elles interprètent seulement et ne fixent aucune règle de droit nouvelle) ;
    • les circulaires réglementaires : elles ajoutent aux lois et règlements ;
  • CE, 2002, Mme Duvignères : renforce le contrôle sur les circulaires par une nouvelle distinction entre circulaires impératives et circulaires non impératives. Les dispositions impératives de caractère général d'une circulaire peuvent désormais être déférées au juge. Cette distinction étend le contrôle du juge à l'interprétation des dispositions que la circulaire doit expliciter, du moment qu'elles comportent un caractère impératif pour ses destinataires, c'est-à-dire soit qu'elles fixent une règle nouvelle dont l'auteur n'a pas la compétence, soit que l'interprétation qu'elles prescrivent méconnaît le sens ou la portée des dispositions.

B/ La règle de la non intervention des ministres dans le domaine réglementaire a néanmoins subi certaines atténuations. Bien que dépourvus de pouvoir réglementaire, les ministres restent associés à celui-ci par le contreseing :
  • des actes du présidents de la République (art. 19 C) : "les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables". Les actes sans contreseing sont donc : la nomination du Premier ministre, le recours au référendum, la dissolution de l'Assemblée nationale, l'usage de l'article 16, le message aux assemblées, la nomination de trois membres et du président du Conseil constitutionnel et la saisine de ce Conseil ;
  • des actes du Premier ministre (art. 22 C) : "les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution".
La distinction entre "ministres responsables" (art. 19 C) et "ministres chargés de l'exécution" (art. 22 C) a une signification politique : les actes du président sont contresignés par les ministres qui en assurent la responsabilité politique devant le Parlement et les actes du premier ministre par les ministres qui en assurent l'exécution dans un souci de bonne administration.

La jurisprudence précise la distinction :
  • un ministre responsable : celui à qui incombe à titre principal l'élaboration et l'exécution d'une mesure ;
  • un ministre chargé de l'exécution : celui qui doit prendre des mesures réglementaires ou individuelles en application d'une décision.
Dans tous les cas, un défaut de contreseing constitue un vice de forme qui entache d'illégalité la mesure prise.


C/ En outre, les ministres disposent du pouvoir réglementaire dans deux cas précis :
  • l'organisation des services du ministère : la jurisprudence a reconnu aux ministres un pouvoir d'organisation de leurs propres services considéré comme un élément du pouvoir hiérarchique dont ils disposent en tant que chef de service (CE, 1936, Jamart). Ce pouvoir ne s'étend pas cependant, au statut général des fonctionnaires qui demeure réservé à des décrets pris en Conseil d'Etat ;
  • la délégation accordée par une loi ou un décret : il appartient au pouvoir réglementaire de déterminer l'autorité administrative compétente, sauf lorsque le législateur souhaite recourir à la garantie d'un décret en Conseil d'Etat ou considère la désignation d'un ministre comme une garantie suffisante. Les ministres reçoivent donc délégation du pouvoir réglementaire surtout de décrets qui renvoient à des arrêtés ministériels l'exécution de certaines prescriptions de caractère réglementaire.


2/ Les limitations apportées au pouvoir réglementaire des ministres faisant planer un risque de centralisation excessive, il a fallu recourir à la théorie des directives. 


A/ Les limitations du pouvoir réglementaire des ministres font planer sur la vie administrative un risque de centralisation excessive ou un risque d'inégalité de traitement de la part de services qui doivent apprécier avec de larges marges de manœuvre les décisions à prendre. Ces difficultés ont amené le Conseil d'Etat à élaborer la théorie des directives

Les directives sont une catégorie juridique nouvelle dégagée par la jurisprudence permettant d'adresser des orientations générales aux services en vue de l'application des lois et des règlements (CE, 1970, Crédit Foncier de France). Les administrations obtiennent ainsi, tout en ayant une indication générale de l'interprétation à donner à une règle, une marge d'appréciation qui leur ouvre la possibilité de déroger à ces orientations lorsque des motifs d'intérêt général ou des considérations tirées de la situation particulière d'un administré le justifient.

La directive offre des critères de décision sans avoir d'effets contraignants. Elle n'est pas susceptible de recours pour excès de pouvoir, mais ses orientations peuvent être contestées à l'occasion d'un recours formé contre une décision qui en fait application par la voie d'exception d'illégalité. Elle doit donc être conforme aux principes généraux du droit (PGD) ainsi qu'aux lois et règlements, spécialement ceux dont elle fait application. La mesure d'application peut également donner lieu à discussion pour déterminer si l'administration peut ou non déroger à la directive.


B/ La théorie des directives sert à la bonne administration dans les domaines où l'adaptation est nécessaire, notamment sur le terrain de l'action économique et de l'aménagement du territoire. L'administration détient un large pouvoir d'appréciation pour déterminer quand il lui paraît utile d'y recourir. Cependant cette théorie n'a pas une application générale dans tous les secteurs de l'administration. Le CE a notamment exclu son recours dans le droit de la fonction publique (CE, 1977, Mme Si Moussa).

Le développement du recours aux directives ministérielles, mais aussi l'augmentation de l'utilisation des circulaires ont conduit à encadrer leur utilisation par des textes normatifs :
  • la loi de 1978 relative à l'accès aux documents administratifs : les directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles comportant une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives doivent être publiées régulièrement ;
  • la circulaire de 1987 relative aux circulaires ministérielles : adressée par le Premier ministre aux ministres, elle invite les administrations à la prudence dans l'édiction des circulaires en rappelant les règles applicables en la matière.

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