Apparus avec le régime représentatif au XVIIIe siècle, les partis politiques ont pris leur forme moderne suite au développement de la démocratie et à l’élargissement du droit de suffrage au cours du XIXe et du XXe siècle. Selon la définition proposée par La Palombara et Weiner dans Political Parties and Political Development (1966), les partis politiques sont des organisations durables, possédant des ancrages locaux et dont l’objectif est la conquête du pouvoir au moyen de la recherche du soutien populaire. Si cette définition met en avant les principales caractéristiques des partis politiques, ceux-ci peuvent être néanmoins différenciés selon leur histoire, les stratégies qu’ils mettent en œuvre ou la manière dont ils sont organisés.
Différentes typologies ont été proposées pour permettre de les différencier selon le contexte de leur naissance (1). Mais il est possible également de les classer par rapport à leur structuration interne ou à leur stratégie électorale (2). Ces partis permettent ensuite d’assurer certaines fonctions, manifestes, mais aussi latentes, notamment dans leurs rapports avec le système politique (3).
1/ L’apparition des partis politiques est solidaire du développement du parlementarisme et de l’extension du droit de suffrage qui caractérise les régimes représentatifs et démocratiques.
A/ Dans Le Savant et le Politique (1919), Max Weber écrit que "les partis politiques sont les enfants de la démocratie, du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d'organiser les masses". Leur existence est donc solidaire de tous ces éléments, et plus particulièrement de l’extension du suffrage universel.
Dans Economie et société (1922), il estime également que c’est "dans l’Etat légal à constitutions représentatives que les partis prennent leur physionomie moderne". Cela signifie que le développement des partis doit beaucoup au parlementarisme. Ce sont les partis qui vont présenter des candidats et des programmes aux citoyens. Les parlementaires élus grâce à leur soutien vont ensuite élaborer des normes, contrôler l’administration et soutenir l’action du gouvernement, voire tenter de le renverser.
B/ Dans Les partis politiques (1951), Maurice Duverger distingue deux types de parti selon leur naissance :
- les partis de cadres : ils ont une origine électorale et parlementaire, c'est-à-dire que leur naissance est liée à l’extension des prérogatives du Parlement et du droit de suffrage. Avec l’émergence des Assemblées, des groupes parlementaires se constituent progressivement. L’extension du droit de suffrage contraint ces groupes à s’organiser localement en créant des comités électoraux. Pour assurer leur cohésion, une administration centrale se constitue et devient l’état-major du parti et instaure une véritable spécialisation du travail au sein de l’organisation. Ces partis sont tournés principalement vers l’élection et cherchent à recruter parmi les notables les élites sociales permettant de financer et d’influencer la vie politique. Ils sont assis localement sur des réseaux de notables et ignorent toute structure hiérarchisée. Ce sont, par exemple, les partis whigs et tories en Angleterre ;
- les partis de masse : ils ont une origine extérieure, c'est-à-dire que leur naissance est liée au développement de diverses associations telles que les syndicats ou les sociétés de pensée. Ils sont en quête d’adhérents et de militants issus des classes populaires qui financent le parti via leurs cotisations. Ils les forment et les promeuvent. Pour cette raison, ce sont des partis fortement organisés et hiérarchisés : la base est constituée par des sections locales, coordonnées au niveau départemental par des fédérations, elles-mêmes dépendantes d’un centre. Ces partis de masse permettent d’encadrer politiquement les catégories sociales jusqu’alors exclues du droit de vote. Ils ont pour objet la recherche de l’adhésion formelle du plus grand nombre. Ce sont par exemple le parti travailliste anglais, issu des Trade-Unions et des sociétés de pensée (la Fabian Society) ou encore le parti socialiste français.
Partis de cadre
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Partis de masse
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Origine
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Parlementaire
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Extérieure
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Discipline et centralisation
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Faible
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Forte
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Fonctions
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Conquête des électeurs
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Formation de nouvelles élites
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Base sociale
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Grande ou petite bourgeoisie
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Masses populaires
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N.B. : au sein des partis de masse, Duverger distingue :
- les partis de masse spécialisés : ce sont les partis socialistes ;
- les partis de masse totalitaires : ils sont porteurs d’une idéologie globalisante, mais là encore il faut distinguer les partis communistes des partis fascistes du fait du recours par ces derniers aux techniques militaires.
C/ Dans Parties and party system (1976), Giovanni Sartori propose une typologie historique des partis politiques. Il distingue ainsi quatre types de partis :
- les partis d’opinion et de clientèle : forme primitive des partis au début du régime parlementaire, il s’agit d’un réseau de relations personnelles autour de quelques leaders (Whigs et Tories) ;
- les partis parlementaires : ils cherchent à construire des stratégies autour du jeu parlementaire afin de former des majorités (partis américains au XIXe siècle) ;
- les partis parlementaires électoralistes : ce sont les partis parlementaires qui ont prolongé leur organisation par un réseau d’entités locales suite à l’extension du droit de suffrage (partis britanniques à la fin du XIXe siècle) ;
- les partis organisateurs de masse : ils ont une origine souvent extérieure aux partis parlementaires. Leur objectif est l’organisation politique des masses (partis travaillistes, SFIO, partis communistes).
2/ Les transformations sociales ont conduit les partis politiques à affiner leur stratégie politique, notamment pour s’adapter à l’évolution de leur base électorale.
A/ Dans "The transformation of the Western party systems" (1966), Otto Kirchheimer considère que le progrès économique et social ainsi que les mutations culturelles ont contribué à l’atténuation des clivages idéologiques. Les partis de cadres se sont donc adaptés et les partis de masses sont devenus plus pragmatiques à mesure que leur base sociale n’est plus constituée majoritairement par les ouvriers.
De manière générale, les partis développent progressivement "des objectifs communautaires d’importance nationale (dépassant) les intérêts particuliers des groupes". Kirchheimer propose ainsi un nouveau type idéal : le parti attrape-tout (catch-all party). Ces partis sont caractérisés par un faible recours à l’idéologie et par une stratégie consensuelle visant à rechercher l’adhésion électorale dans des secteurs multiples de la population.
B/ Dans Le phénomène gaulliste (1970), Jean Charlot propose une analyse des différents partis politiques français sous la Ve République et distingue trois types de partis :
- les partis de notables : ils recherchent l’adhésion des électeurs influents ;
- les partis de militants : ils encadrent les masses et sont porteurs d’une idéologie forte ;
- les partis d’électeurs : ils sont orientés vers la conquête d’une majorité d’électeurs.
Jean Charlot étudie l’Union pour la nouvelle République (UNR), parti politique français fondé en 1958 dont le but est de soutenir l’action du général Charles de Gaulle. Il deviendra l’Union pour la défense de la République (UDR) en 1968, puis l’Union des démocrates de la République (UDR) en 1971, et enfin, le Rassemblement pour la République (RPR) en 1976. Auparavant, les soutiens de De Gaulle s’étaient réunis au sein du Rassemblement pour le peuple français (RPF – de 1947 à 1955), puis des Républicains sociaux (RS) jusqu’en 1958. Ces deux partis étaient plutôt des partis de notables. Une transformation s’opère avec l’UNR.
En effet, selon Jean Charlot, l’UNR est devenu un parti d’électeurs qui, en tant que tel, "récuse le dogmatisme idéologique et se contente d’un fonds commun de valeurs, assez large pour réunir autour de lui un maximum de supporters". En outre, contrairement aux partis de notables, il admet la démocratie de masse, la solidarité de groupe et récuse l’individualisme libéral. Il est populaire sans pour autant remettre en question le système politique et social.
On peut observer également que, dans les années 80, le parti socialiste évolue dans la direction d’un parti d’électeurs : sa base électorale du PS se diversifie et son idéologie devient plus pragmatique.
L’analyse de Jean Charlot permet donc de montrer que les partis de masses (PS) ou les partis de cadres (UNR) ont tendance à élargir leur base sociale et programmatique à mesure que leur chance d’accéder au pouvoir augmente. Cette analyse rejoint donc celle de Kirchheimer et de sa notion de parti attrape-tout.
C/ Dans "Comparative party models : rational-efficient and party demarchy" (1971), William Wright souligne que, du point de vue organisationnel, il est possible de distinguer deux types de partis :
- le parti démocratique (Party democracy model) : il met l’accent sur la démocratie interne. Ce parti privilégie l’élaboration d’un projet, contrôle son groupe parlementaire en charge de sa défense et favorise la participation des adhérents. La fonction idéologique l’emporte sur la fonction électorale ou gouvernementale. Son activité est continue et ne se limite pas à la période électorale ;
- le parti efficace-rationnel (Rational efficient model) : il met l’accent sur l’efficacité. Ce parti néglige la participation des adhérents et subordonne son organisation au groupe parlementaire. Il est peu centralisé, peu idéologique et recherche l’efficacité électorale au moyen d’un pragmatisme modéré. Son activité est irrégulière et se limite à l’élection.
Party democracy model
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Rational efficient model
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Polarité organisationnelle
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Démocratie interne
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Efficacité
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Participation
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Forte
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Faible
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Activité
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Continue
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Irrégulière
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Fonction
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Idéologique
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Electorale
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3/ Les fonctions des partis politiques sont à la fois manifestes (structuration de la vie politique) et latentes (rôle d’assistance) et répondent à des exigences fonctionnelles du système politique.
A/ Dans Eléments de théorie et de méthode sociologique (1965), le sociologue fonctionnaliste Robert Merton distingue deux types de fonctions :
- les fonctions manifestes : elles contribuent à l’ajustement et à l’adaptation du système tout en étant souhaitées par les participants ;
- les fonctions latentes : elles ne sont "ni comprises, ni voulues par les participants du système politique".
a) Les fonctions manifestes sont :
- les fonctions électorale, de contrôle des organes politiques et d’expression des positions politiques (Frank Sorauf, "Political parties and political analysis", 1964) ;
- une fonction de structuration de l’opinion publique (David Apter, The politics of modernization, 1965) ;
- les fonctions de socialisation politique et d’agrégation des intérêts (Gabriel Almond et Bengham Powell, Comparative politics : a developmental approach, 1966) ;
- une fonction de structuration du vote (Leon Epstein, Political parties in Western democracies, 1967).
b) Les fonctions latentes analysées par Merton (1965) sont surtout valables pour les Etats-Unis lors de la période d’entre-deux guerres. Elles consistent principalement en une fonction d’assistance proche du clientélisme : la machine politique permet de rendre des services extra-légaux qui répondent à l’inadéquation des structures sociales conventionnelles (elle peut permettre la mobilité sociale des plus pauvres par exemple). Selon Merton, les partis politiques servent à répondre à des besoins qui, sans eux, resteraient insatisfaits. Pour cela, ils mettent en place des structures, parfois en marge de la légalité, qui ne peuvent être supprimées que si elles sont remplacées par d’autres structures (légales cette fois) qui répondent à ces mêmes besoins.
Merton insiste également sur la figure du boss. Le boss est l’agent local du parti qui est un intermédiaire entre les groupes d’affaire et le gouvernement. Il procure des privilèges à une population en échange de leur vote. Cet échange de services, proche de la corruption, est analysé comme une rétribution par Merton : le client rétribue ce boss par un bulletin de vote ou par une aide à la machine politique qu’il représente lors d’une campagne électorale.
B/ Dans "Partis et systèmes politiques : interactions et fonctions" (1969), Georges Lavau réalise une étude fonctionnelle des partis politiques en lien avec le système politique. Selon lui, tous les systèmes n’ont pas les mêmes exigences fonctionnelles, car ces dernières sont encadrées par la volonté des acteurs et par des limites idéologiques. Fondamentalement, un système politique est un mécanisme qui parvient à faire coexister un pluralisme irréductible au sein d’une société. Il en déduit trois fonctions essentielles des partis politiques :
- une fonction de légitimation-stabilisation : à différents degrés, les partis politiques légitiment et stabilisent le système politique afin qu’il puisse résister aux tendances centrifuges ;
- une fonction tribunitienne : un système politique doit également neutraliser les forces centrifuges en parvenant à les intégrer politiquement. Des partis manifestement opposés au système assurent de manière latente une fonction tribunitienne (à l’image du tribun de la plèbe dans la République romaine). Dans A quoi sert le parti communiste français (1968), Lavau montre que le PCF remplit cette fonction en prenant en charge les revendications des catégories sociales les plus défavorisées afin de leur assurer une représentation. Cette intégration permet de canaliser les virtualités révolutionnaires à condition que le parti bénéficie d'une certaine représentativité capable d'en faire un interlocuteur incontournable. En ce sens, le FN n’a pas de fonction tribunitienne car son électorat est trop différencié socialement ;
- la fonction de relève politique : un parti a aussi un rôle critique permettant de proposer une alternative au programme politique mis en œuvre. Certains partis, que Lavau qualifie de "partis anti-systèmes", ont un rôle critique permanent. Ils se rapprochent de la catégorie des partis protestataires qui mettent en avant les causes non traitées par les autorités (écologie, féminisme, immigration). Ils se distinguent des partis gestionnaires qui ont une perspective gouvernementale et qui, pour cette raison, ont un bagage idéologique faible.
C/ Dans Science politique (2010), Dominique Chagnollaud propose une synthèse des fonctions des partis politiques :
- structuration du vote : fonction première et constitutive des partis, elle est reconnue dans la Constitution (art. 4 C : "les partis concourent à la formation et à l’expression du suffrage") ;
- laboratoire d’idées : fonction de diffusion de l’idéologie du parti, d’alimentation du débat politique, d’élaboration de programmes pouvant contribuer aux politiques publiques et à la formation de l’opinion publique ;
- recrutement politique : ils permettent la sélection des candidats et du personnel politique ;
- gouvernement : ils participent, voire contrôlent le pouvoir politique et contribuent à l’élaboration des normes ;
- socialisation politique : ils contribuent à l’intégration des citoyens dans le système politique ;
- médiation et patronage : ils permettent d’agréger les demandes et de fournir une assistance ou des services aux citoyens ;
- tribunitien : ils intègrent les exclus au système politique.
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