lundi 28 février 2011

Le principe d'irrecevabilité financière

La Constitution de 1958 encadre les prérogatives des parlementaires en matière budgétaire. Elle applique le principe d'irrecevabilité financière à leurs amendements formulés en commission ou en séance publique. Ils disposent toutefois d’une certaine marge de manœuvre pour modifier le projet de loi de finances (PLF) qui a été élargie avec l’entrée en vigueur de la LOLF. 

La règle des irrecevabilités financières est une tradition ancienne dont l’origine remonte à la IIIe République. Elle est reprise sous la IVe et la Ve République. Elle a une portée générale et s’applique aux amendements susceptibles d’être introduits dans une loi de finances ou dans une loi ordinaire. L’art. 40 C dispose que :
"les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique". 
Ces irrecevabilités des propositions ou des amendements des parlementaires sont donc : 
  • ceux qui diminuent des ressources publiques ; 
  • ceux qui créent ou aggravent une charge publique. 


1/ La Constitution interdit de diminuer les ressources publiques : cela signifie que les parlementaires ne peuvent pas diminuer les ressources publiques qui ont été décidées dans le budget de l’année qui précède celle du PLF. Le texte de référence n’est pas le PLF du gouvernement, mais la précédente loi de finances. Tout amendement qui engendrerait une perte de ressources par rapport à la loi de finances précédente peut dont être frappé d’irrecevabilité. Cette irrecevabilité est valable même si la diminution des ressources est décalée dans le temps. 

Comme le texte de base n’est pas le PLF, mais la loi de finances de l'année qui précède, si le Gouvernement choisit d’augmenter les impôts, les parlementaires peuvent déposer un amendement pour s’y opposer. En conséquence, si seul le Gouvernement peut décider de diminuer les impôts par rapport à l’année précédente, les Parlementaires conservent la possibilité de s’opposer à une augmentation des impôts envisagée par le Gouvernement dans son PLF. 

En outre, le CC apprécie cette interdiction de diminuer les ressources de manière globale (CC, 1976, Règlement du Sénat). Cela signifie que rien n’empêche les parlementaires de proposer la diminution d’une ressource à condition qu’ils proposent une ressource de substitution équivalente, ce qu’on appelle un gage. Cette interprétation s’appuie sur le pluriel du mot "ressources". Le CC pose néanmoins plusieurs conditions pour admettre une compensation : 
  • la ressource compensatrice doit être réelle (une simple diminution des dépenses ne suffit pas), suffisamment consistante et correctement proportionnée (éviter un relèvement outrancier des droits sur les tabacs en contrepartie d’une exonération d’impôt direct par exemple) ; 
  • la ressource doit bénéficier aux mêmes collectivités et organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui fait l’objet d’une diminution ; 
  • la compensation doit être immédiate ; 
  • le législateur doit avoir la compétence nécessaire pour majorer cette ressource (ce qui n’est pas le cas pour les impôts locaux ou les cotisations sociales). 


2/ La Constitution interdit également de créer ou d’augmenter une charge publique, c’est-à-dire une dépense. Le CC entend l’expression de charge publique comme englobant toute charge : celles de l’Etat, mais aussi celles des collectivités territoriales et des divers régimes sociaux (CC, 1961, Loi relative aux assurances maladie). 

En outre, le CC estime que l’interdiction est plus restrictive que dans le cas des ressources publiques, car le mot "charge" est au singulier. Par conséquent, la compensation de la création ou de l’aggravation d’une charge est prohibée dans tous les cas : tout amendement entraînant la création ou l’aggravation d’une charge publique encourt l’irrecevabilité quels que soient les gages qu’il apporte (CC, 1985, Loi de finances rectificatives pour 1985). 

La réserve parlementaire constitue toutefois une atténuation de cette interdiction. Elle n’est pas prévue par les textes mais relève seulement d’un usage : le gouvernement laisse à la discrétion du président de la commission des finances une masse de crédits (environ 90 millions d’euros pour l’Assemblée nationale, 60 millions pour le Sénat) afin que les membres de la commission puissent proposer des augmentations de crédits. Dans la mesure où les parlementaires ne peuvent pas aggraver une charge publique, ces propositions sont ensuite reprises sous forme d’amendements par le Gouvernement. 


3/ La LOLF a élargi le droit d’amendement en le rendant possible pour les crédits. L’art. 47 LOLF permet une interprétation plus souple de l’art. 40 C. Selon cet art. 47 LOLF :
"au sens des 34 et 40 de la Constitution, la charge s’entend, s’agissant des amendements s’appliquant au crédit de la mission". 
Autrement dit, si seul le Gouvernement peut créer une mission via une disposition de loi de finances d’initiative gouvernementale, le Parlement conserve la possibilité de proposer des amendements au sein d’une mission et donc de modifier la répartition des crédits entre programmes, voire de créer ou de supprimer des programmes. La mission est donc l’unité de vote du Parlement et le cadre d’exercice du droit d’amendement. Comme le mondant des crédits est fixé par mission, les Parlementaires peuvent réallouer les crédits entre les programmes, mais ils ne peuvent pas accroître le montant global des crédits de la mission. L’art. 47 LOLF ajoute également que "tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient"

En outre, ces modifications ne peuvent pas dépouiller une mission de sa substance en la réduisant à un unique programme, l’art. 7 LOLF précisant en effet qu’une mission comprend "un ensemble de programmes"

La Mission parlementaire qui a suivi la mise en œuvre de la première loi de finances sous le régime de la LOLF (LF de 2006) a noté un usage accru du droit d’amendement en matière financière par le Parlement, ce qui démontre la volonté des parlementaires de se saisir de leurs nouvelles prérogatives budgétaires. Le droit d'amendement des parlementaires reste cependant strictement encadré par l'art. 40 C, et les présidents des commissions des finances n'ont pas hésité à demander sa suppression lors des discussions relatives à la révision de 2008. 

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