jeudi 10 mars 2011

Les contrôles externes des ordonnateurs

Les contrôles externes désignent les contrôles exercés par les juridictions financières que sont la Cour des comptes, les Chambres régionales des comptes (CRC) et la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Comme pour les contrôles internes, ils peuvent concerner les ordonnateurs et les comptables. La Cour des comptes et les Chambres régionales des comptes ont la charge du contrôle externe des comptables (et des ordonnateurs déclarés comptables de fait). Les ordonnateurs relèvent de la CDBF. C’est de ceux-ci dont il est ici question. 


1/ La Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) est le juge des ordonnateurs.


a) La CDBF a été créée en 1948, historiquement, pour renforcer la responsabilité des ordonnateurs à une période où leur responsabilité pénale restait théorique. Elle est présidée par le Premier président de la Cour des comptes. Elle comprend 6 membres de la Cour des comptes (dont le Premier président) et 6 membres du CE (le président de la section des finances du CE en est le vice-président). Les fonctions du Ministère public sont remplies par le Procureur général de la Cour des comptes, il est assisté d’un avocat général de la Cour des comptes. Le secrétariat de la Cour est assuré par les services de la Cour des comptes.

Le rôle de cette juridiction est de sanctionner par des amendes les irrégularités définies dans le Code des juridictions financières, notamment la violation des procédures d’exécution des dépenses et des recettes ainsi que l’octroi d’avantages injustifiées à autrui


b) Les justiciables de la CDBF sont tous les dirigeants et agents de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des entreprises publiques, ainsi que les membres des cabinets ministériels ou toute personne ou organisme soumis au contrôle d’une juridiction financière (Cour des comptes ou CRC), ce qui inclut les associations bénéficiant de concours publics (CDBF, 2003, Association L’Etape) ou les sociétés dans lesquelles l’Etat est majoritaire (depuis la loi de 1995 relative à l’action de l’Etat dans les plans de redressement du Crédit lyonnais).

Toutefois, l’ordre écrit d’un supérieur hiérarchique permet à toute personne justiciable de la CDBF d’échapper aux sanctions dont elle est passible, la responsabilité du supérieur étant substituée à la sienne. En outre, ni les ministres, ni les élus locaux ne relèvent de sa compétence (ils bénéficient d'une sorte d'immunité politique). La loi de 1993 relative à la prévention de la corruption a néanmoins prévue que les élus locaux étaient justiciables de la CDBF dans trois cas : 
  • en cas de condamnation de la collectivité à une astreinte liée à l’inexécution d’une décision de justice ; 
  • en cas de condamnation au versement d’une somme d’argent n’ayant pas été mandatée sous 2 mois ; 
  • en cas d’engagement de la responsabilité lié à un ordre de réquisition du comptable qui accorde un avantage injustifié à autrui. 
De plus, les élus locaux relèvent de la CDBF lorsque leur responsabilité est mise en cause à l’occasion de fonctions connexes à leur mandat (PDG de société d’économie mixte locale, président de comité). 


2/ La procédure de saisine est particulière puisque, contrairement à la Cour des comptes, la CDBF ne peut pas se saisir d’office.


a) Le délai de saisine est de 5 ans. Les autorités compétentes pour sa saisine sont :
  • des juridictions financières : c’est le cas le plus courant, la Cour des comptes elle-même, son Parquet et les CRC ; 
  • des autorités politiques : Premier ministre, ministre des Finances, présidents des chambres parlementaires ; les autres ministres lorsque les faits sont commis par des agents placés sous leur autorité ; 
  • tout créancier d’une personne morale de droit public : en cas de non-ordonnancement ou de non-mandatement dans les 2 mois d’une somme à laquelle l’Etat ou tout autre organisme public est condamné à payer. 
La décision de poursuite appartient au procureur général près de la Cour des comptes qui joue le rôle de ministère public auprès de la CDBF. Il peut soit décider du classement, soit transmettre le dossier au président de la Cour qui désigne un rapporteur disposant de larges pouvoirs d’investigations (communication de documents, enquêtes, auditions). Le rapporteur est chargé d’instruire l’affaire en question. Il est nommé par décret sur proposition du ministre des Finances parmi les membres de la CDBF. 

Une fois l’instruction réalisée par le rapporteur achevée, il transmet son rapport d’instruction au procureur général qui peut à nouveau décider de classer l’affaire, ou bien transmettre le dossier au ministre des Finances et au ministre concerné. Ils disposent d’un délai d’au minimum 1 mois pour émettre un avis (à défaut, la procédure est poursuivie). 

Finalement, le procureur général finit soit par prononcer le classement par décision motivée dans un délai de 15 jours (avec notification aux présidents des chambres, au Premier ministre, au ministre des Finances et au ministre concerné), soit par renvoyer l'affaire devant la CDBF avec des conclusions motivées. Il revient alors à la CDBF de délibérer (à la majorité des voix prépondérante du président en cas de partage). La CDBF doit : 
  • siéger en audience publique lorsqu’elle est amenée à statuer sur des agissements pouvant donner lieu à des amendes (CE, 1998, Lorenzi) ; 
  • respecter le principe d’impartialité en veillant à ce que les membres de la CDBF qui ont déjà eu à apprécier des faits dans le cadre d’autres fonctions ne prennent pas part au jugement (CE, 2003, Dubreuil). 

b) La CDBF sanctionne trois types d’infractions
  • les infractions à la réglementation financière : ce sont les règles relatives à l’exécution des dépenses et de recettes ou à la gestion de biens (opérations immobilières ou passation de marchés publics), elles recouvrent de multiples hypothèses de transgression des principes de la comptabilité publique (l’engagement de dépenses par une personne non habilitée ou l’ordonnancement sans contrôle financier) ; 
  • les infractions au respect de la chose jugée : lorsqu’un jugement condamnant l’administration à verser une somme d’argent ou bien au versement d’astreintes pour inexécution n’est pas exécuté par l’administration ; 
  • l’octroi d’avantages injustifiés : que ces avantages soient pécuniaires ou en nature (paiements en l’absence de livraisons ou versements irréguliers d’indemnités, de rémunérations ou d’avantages en nature). A noter toutefois que la CDBF a reconnu des circonstances absolutoires liées à la nécessité d’assurer la continuité du service public et en l’absence de toute autre solution réglementaire, et a ainsi excusé de graves irrégularités commises par un directeur d’hôpital dans le cadre de la rémunération de praticiens (CDBF, 2009, Centre hospitalier de Fougères). 
La sanction prononcée consiste en une amende qui varie selon les infractions et la qualité de ceux qui les ont commises.

Le montant de l’amende varie selon les infractions
  • non respect des règles de la comptabilité publique : l’amende varie de 150 € au montant du traitement brut annuel de la personne coupable de l’infraction ; 
  • inexécution d’une décision de justice : entre 300 € et le montant du traitement brut annuel ; 
  • octroi d’avantages injustifiés : entre 300 € et le double du montant du salaire annuel brut. 
Le montant de l’amende varie également en fonction de la qualité de celui qui a commis l’infraction : la plus forte amende a ainsi été infligée par la CDBF à un dirigeant du Crédit lyonnais (pour un montant de 100 000 €, cf. CDBF, 2006, Société Althus Finance). 

Les arrêts rendus par la CDBF sont sans appel, mais ils peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant le CE, recours ouvert à l’intéressé ou au Procureur général. Elle peut décider de donner publicité aux sanctions infligées. L’arrêt de condamnation ayant acquis un caractère définitif peut être publié en tout ou partie (éventuellement en la forme anonyme) au JO. 

La création de la CDBF résulte de la volonté de renforcer la responsabilité des ordonnateurs sans confier un pouvoir de sanction directe à la Cour des comptes. Certaines critiques soulèvent néanmoins la question de sa pertinence à l’heure où la responsabilité pénale des ordonnateurs s’est renforcée (les affaires les plus graves sont désormais systématiquement pénalisées). En outre, l’immunité politique des ministres et des élus locaux, ainsi que la possibilité d’échapper à la CDBF grâce à un ordre écrit d’un supérieur hiérarchique, renforcent l’idée que cette Cour n’est plus très utile. Et de fait, au cours des 20 dernières années, son champ d’intervention s’est cantonné à la sanction d’un nombre réduit d’irrégularités et à l’importance relative (les sanctions vont généralement de 5 000 à 10 000€ et elle n'a rendu que 170 arrêts au cours de son existence). Le projet de loi de 2009 portant réforme des juridictions financières prévoit donc la reprise des compétences de la CDBF par la Cour des comptes. Il est actuellement bloqué à l’Assemblée à cause de la suppression de l’immunité politique accordée aux élus locaux.

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