Les autorités administratives indépendantes (AAI) sont des organismes administratifs créés par la loi disposant d'une large autonomie leur permettant d'assurer une mission de régulation ou de protection des droits fondamentaux. Leur spécificité est qu'elles sont placées en dehors des structures administratives traditionnelles, elles ne sont donc pas soumises au pouvoir hiérarchique des ministres.
1/ Si les AAI ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique des ministres, la révision constitutionnelle a commencé à encadrer leur développement.
A/ Les AAI constituent une exception à l'art. 20 C selon lequel "le gouvernement dispose de l'administration". Par conséquent, leur existence pose la question de leur légitimité démocratique. Certes, comme les membres du gouvernement, les présidents d'AAI sont nommés par le Président de la République. Mais l'autorité que les ministres détiennent sur les services administratifs apparaît par le fait même qu'ils répondent de leur fonctionnement qui engage leur responsabilité politique devant le Parlement. Par conséquent, la responsabilité du gouvernement devant le Parlement est le fondement de l'autorité du gouvernement sur l'administration. Or ce n'est pas le cas pour les présidents d'AAI. Le principe de l'art. 20 C est donc difficilement compatible avec l'existence d'AAI, ce qui pose de nombreuses questions d'ordre constitutionnel.
B/ La révision constitutionnelle de 2008 ne fait pas mention explicite des AAI comme catégorie, mais elle contient des dispositions importantes pour leur développement :
- l'art. 13 C : il renvoie à une loi organique pour les nominations du président de la République aux emplois et fonctions qui nécessitent l'avis des commissions parlementaires "en raison de leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation" ;
- l'art. 34 C : un ajout réserve à la loi le soin de définir les règles garantissant "la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias", par conséquent toute évolution des AAI intervenant dans le domaine de la communication (CSA au premier chef) est réservée désormais à la loi ;
- l'art. 71-1 C : cet article consacre pour la première fois une AAI : le Défenseur des droits. Il est chargé de veiller "au respect des droits et libertés par les administrations". La création de cette AAI répond à une double stratégie :
- réduire le nombre d'AAI en fusionnant au sein du Défenseur des droits, notamment le Défenseur des enfants et le Médiateur de la République ;
- reconnaître constitutionnellement l'existence de telles autorités.
2/ Avant que la révision de 2008 ne commence à leur dessiner un statut constitutionnel, leur intervention a soulevé trois groupes de questions d'ordre constitutionnel :
- le principe de telles autorités ;
- l'étendue de leurs pouvoirs ;
- le contrôle juridictionnel s'exerçant sur elles.
A/ Le principe de l'existence de telles autorités, s'il apparaît contraire à la Constitution, n'a pas fait l'objet d'une opposition du CC (bien qu'il ait été saisi des lois créant diverses autorités indépendantes telles que celle de la CNIL en 1986, du Conseil de la concurrence en 1987 ou du CSA en 1989).
Le CC a même considéré qu'une AAI peut être instituée pour protéger des droits fondamentaux, y compris contre la loi. Le législateur peut remplacer une autorité par une autre, mais il ne peut pas priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel (CC, 1986, Loi relative à la liberté de communication). Les garanties prévues par la loi ont un effet cliquet en matière de droits protégés au niveau constitutionnel : une autorité ne peut être ni supprimée, ni voir ses compétences trop fortement réduites.
B/ L'étendue des pouvoirs confiés aux AAI est large. Elles peuvent détenir un pouvoir :
- d'avis ou de recommandation : il consiste en des missions de conseil vis-à-vis des opérateurs ou en des opérations de médiation (trouver un compromis entre l'administration et l'administré). L'autorité s'exerce par un magistère moral et un contact formalisé avec l'opinion notamment via la publication d'un rapport public qui peut contribuer à influencer les pratiques ;
- de décision individuelle : délivrer l'autorisation d'exercer une activité, nominations ;
- de réglementation : organiser un secteur d'activité en établissant des règles. En principe, le pouvoir réglementaire appartient au Premier ministre et, pour les actes délibérés, en Conseil des ministres au président de la République. Le CC juge néanmoins que ces dispositions n'interdisent pas au législateur de confier à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre la capacité de fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi. Il précise toutefois que cette habilitation ne peut porter que sur des mesures de portée limitée par leur champ d'application et par leur contenu (CC, 1986, Liberté de communication). Il s'agit donc d'un pouvoir réglementaire d'application de la loi et non d'un pouvoir autonome. Ce pouvoir ne peut s'appliquer qu'à des mesures à portée limitée et dans le respect des lois et des règlements. Il est à la fois spécialisé et subordonné. Le CC censure d'ailleurs les dispositions qui inversent la hiérarchie des normes ;
- de sanction : lorsqu'un des acteurs du secteur d'activité contrôlé ne respecte pas les règles posées par ces institutions ou les obligations qui lui incombent, les AAI peuvent le sanctionner. Ainsi, le Conseil de la concurrence ou l'Autorité des marchés financiers peuvent infliger des amendes importantes. Le CSA a le pouvoir de suspendre l'autorisation d'émettre d'une radio pendant une journée ;
- de saisine : ce pouvoir important permet à certaines autorités (Autorité de la concurrence, HALDE) de saisir elles-mêmes les juridictions.
En ce qui concerne la reconnaissance ou non de la personnalité morale aux AAI, elle n'obéit ni à un impératif constitutionnel, ni à une logique évidente. Selon B. Stirn, "un certain impressionnisme prévaut en la matière".
C/ Le contrôle juridictionnel encadre les pouvoirs des AAI.
Dans la mesure où les actes du Médiateur constituent des décisions, ils sont susceptibles d'être déférés à la juridiction administrative (CE, 1981, Retail). Ce droit au recours répond à des exigences constitutionnelles (CC, 1986, Liberté de communication : pour ce qui concerne les décisions de la CNIL).
Les préjudices causés par les AAI peuvent donnés lieux à l'engagement d'actions en responsabilité pour obtenir réparation. Fréquemment, elles n'ont pas la personnalité morale, l'Etat est alors responsable. Mais leur responsabilité propre peut être recherchée si elles ont cette personnalité juridique.
En principe, la juridiction administrative est compétence pour les AAI. La juridiction administrative exerce un contrôle de plein contentieux sur leurs actes, ce qui permet au juge d'annuler la décision déférée, mais aussi de réformer la décision. Ce contrôle en matière de sanctions est regardé comme une garantie par le CC. Il existe cependant des exceptions en ce qui concerne les AAI de régulation des marchés. Le caractère commercial des litiges en cause oblige le législateur à prévoir une compétence, au moins partielle, du juge judiciaire. Toutes les décisions de l'Autorité de la concurrence (sauf celles sur les concentrations), certaines décisions de l'AMF (sauf les sanctions qu'elle inflige), certaines mesures prises à l'égard des opérateurs par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes relèvent du juge judiciaire.
Le CC admet ces dérogations (CC, 1987, Conseil de la concurrence) :
- il pose en principe la compétence de la juridiction administrative pour connaître les actes pris en vertu de prérogatives de puissance publique ;
- il juge ensuite que le législateur peut apporter des aménagements à ce principe pour unifier la compétence "au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé".
Tout en étant originales, les AAI s'insèrent donc sans particularisme excessif au sein des autres institutions administratives.
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