lundi 6 décembre 2010

La qualité de la loi

La qualité de la loi renvoie à la préoccupation des pouvoirs publics d'obtenir une norme satisfaisant à des critères de clarté, d'intelligibilité et de sécurité juridique au profit des citoyens. Elle est d'autant plus importante que la loi occupe une place centrale en terme symbolique dans l'histoire juridique française. Or comme le relève le rapport du Conseil d'Etat de 2006 intitulé Sécurité juridique et complexité du droit, la loi souffre aujourd'hui d'une réelle perte de qualité normative. Plusieurs mesures ont donc été prises afin de rationaliser la loi et de lui redonner toute son autorité.


1/ Si l'encadrement du domaine de la loi a permis aux gouvernements de la Ve République de connaître une certaine stabilité, l'inflation législative suscite toujours quelques inquiétudes. 


A/ L'inflation normative est un phénomène récurrent dans l'histoire constitutionnelle française. La IIIe et la IVe République doivent leur échec en partie à cette raison. La Constitution de la Ve République a pour ambition un meilleur équilibre entre la loi et le règlement, notamment en circonscrivant les matières de la loi dans un cadre strict (art. 34 C). 

Ce cadre est un relatif succès puisque si le nombre de loi a été divisé par deux passant de 200 à 100 par an (lois autorisant la ratification conventions comprises), la taille des textes de loi n'a, par contre, pas cessé d'augmenter. De 1960 à 2006, le nombre moyen annuel de lois reste stable (62 lois hors conventions), mais le Recueil des lois publié par l'Assemblée nationale est passé de 400 à 4000 pages.  En tout, 7500 lois sont applicables. Comme le souligne le professeur Carbonnier, "l'inflation se grossit de l'enflure" et une demande croissante de lois alimente à son tour l'inflation législative.


B/ Depuis les années 90, la prolifération législative redevient une préoccupation. La loi inquiète du fait de son nouveau foisonnement que l'on peut attribuer à la technicité excessive de certaines dispositions, aux empiétements trop fréquents de la loi sur le domaine réglementaire (qui ne sont pas censurés a priori par le CC), à la multiplication des textes d'affichage dépourvus de réel contenu normatif et à l'instabilité de certaines dispositions de loi (qui peuvent être modifiées avant même d'être entrées en vigueur : le CE parle ainsi dans son rapport de 1991 du droit fiscal ou du droit social comme des "stroboscopes législatifs permanents"). Cette prolifération conduit à un engorgement auquel le gouvernement répond par une intervention plus forte, notamment via la procédure des ordonnances (art. 38 C). 

Le législateur a multiplié les lois d'habilitation pour que le gouvernement agisse par ordonnances dans des domaines de plus en plus variés tels que la codification, la transposition des directives, la simplification du droit et la réforme administrative. Entre 2004 et 2007, 325 ordonnances ont été prises sur le fondement de 38 lois d'habilitation. Le législateur s'est également fait de moins en moins précis dans ses lois d'habilitation amenant ainsi le Parlement à se dessaisir d'une part de ses compétences. Dans Les sources constitutionnelles du droit administratif, B. Stirn souligne que "le spectre des décrets-lois" plane à nouveau sur la Ve République.


2/ Face à ces inquiétudes, un certain nombre de mesures ont été prises de manière à garantir la qualité de la loi. 


A/ Le Conseil d'Etat consacre son rapport public annuel au thème de la sécurité juridique dès 1991. Il désire ainsi attirer l'attention du gouvernement sur le problème de l'inflation normative et ce qu'il nomme alors la "logorrhée législative". Il souligne que "lorsque la loi bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite" et dénonce "un droit mou, un droit flou, un droit à l'état gazeux". Ce "droit à l'état gazeux", c'est le droit dépourvu de portée normative. Par exemple, la censure faite par le CC de l'art. 7-II de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école selon lequel  "l'objectif de l'école est la réussite de tous les élèves" et que le CC a jugé "manifestement dépourvu de toute portée normative" (CC, 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école).

Quinze ans plus tard, la haute juridiction administrative revient sur ce sujet et consacre son rapport public annuel 2006 à la sécurité juridique et à la complexité du droit. Elle place en exergue la phrase de Montesquieu selon laquelle "les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires" et recommande une série de mesures pour mieux et moins légiférer. Le CE souligne, par ailleurs, que la complexité croissante des normes menace l'Etat de droit et ses effets sont néfastes pour :
  • le législateur : il se trouve "contraint", "submergé" et "contourné",
  • la société : l'usager se trouve "égaré",
  • les opérateurs économiques : ils sont confrontés à une réelle insécurité ;
  • les juges : ils restent "perplexes" face à l'application de ce droit.
Dans le même temps, la jurisprudence du CE reconnaît l'existence en droit interne de la sécurité juridique (CE, 2006, KPMG). Elle s'inscrit ainsi en harmonie avec la jurisprudence de la CJUE (CJUE, 1972, Azienda Colori Nazionali c/ Commission) et de la CEDH (CEDH, 1979, Marckx c/ Belgique). En l'espèce, dans l'arrêt KPMG, le CE a jugé qu'il appartenait à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter les mesures transitoires qu'une réglementation nouvelle implique, notamment lorsqu'elle est susceptible de porter atteinte à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées. Il en va, selon lui, de la sécurité juridique. 

Les mêmes préoccupations de sécurité juridique ont été exprimées avec une intensité croissante par la jurisprudence du CC :
  • CC, 1999, Codification par ordonnances : le CC affirme que l'intelligibilité et l'accessibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle ;
  • CC, 2004, Autonomie financière des collectivités territoriales : le CC rappelle fermement le législateur à davantage de vigilance. Il prend appui sur l'art. 6 DDHC selon lequel "la loi est l'expression de la volonté générale" pour affirmer que "la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative". Il fait ensuite état d'un "principe de clarté de la loi" qui, conjugué avec l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité, impose au législateur "d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi". Ces règles générales posées, le CC censure un article de loi qui "outre son caractère tautologique, ne respecte, du fait de sa portée normative incertaine, ni le principe de clarté de la loi, ni l'exigence de précision que l'art. 72-2 C requiert du législateur organique" ;
  • CC, 2005, Loi de finances pour 2006 : le CC censure les dispositions de cette loi relative au plafonnement de certains avantages fiscaux au titre de l'impôt sur le revenu. La complexité des règles énoncées se traduit par une longueur trop conséquente, un caractère incompréhensible et ambigu, ainsi que de trop nombreux renvois. Il estime que les incertitudes liées à ce texte peuvent être la source d'une "insécurité juridique", mais aussi de malentendus, de réclamations et de contentieux. Sans compter qu'en matière fiscale, un degré élevé de complexité méconnaît l'art. 14 DDHC posant le principe du consentement à l'impôt. L'égalité devant la loi et la garantie des droits exigent que les citoyens puissent disposer d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables ;
  • CC, 2008, Contrats de partenariat : des dispositions entachées de contradiction portent atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

B/ L'amélioration de la qualité de la loi la plus remarquable depuis ces dernières années réside dans l'entreprise de codification du droit. Initiée en 1989 sous l'égide de la Commission supérieure de codification, la codification consiste à regrouper des textes normatifs de natures diverses dans des recueils concernant une matière donnée. Chacun de ces groupes devenant ainsi un code. Par cette procédure, les codes anciens ont retrouvé leur portée (exemples : le Code rural ou le Code de la santé publique). Ce processus de codification est mené à bien par ordonnances. Il permet de disposer d'ensembles ordonnés, cohérents et mis à jour à la place d'un amas inorganisé de lois multiples.

Le droit codifié présente plusieurs avantages :
  • il est plus simple d'accès ;
  • il permet une meilleure compréhension ;
  • il est moins sujet à d'incessantes modifications.
Dans CC, 2008, Loi ratifiant l'ordonnance relative au code du travail, le CC affirme que "la codification répond à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi".


C/ A côté de la codification, il faut mentionner l'effort réalisé sur le travail d'élaboration des textes.

Lors de leur élaboration, les lois sont soumises à deux obligations : d'une part, la rédaction d'un exposé des motifs de la loi ayant pour but d'expliquer l'utilité du texte et ses effets ; d'autre part, sa soumission au CE en sa fonction consultative qui est un gage de sécurité juridique.

Deux autres instruments pourraient, en outre, être développés davantage :
  • les études d'impact : le rapport de 2006 du CE préconise, comme cela se fait en Allemagne ou en Espagne, de recourir à ces études de manière obligatoire, de manière à s'assurer de la cohérence de la loi, de sa qualité rédactionnelle ou de ses effets sociaux et juridiques avant son vote ;
  • l'expérimentation : introduite par la révision constitutionnelle de 2003 (à l'art. 37-1 et 72 C), elle reste une procédure très contraignante, mais qui permet d'avoir un rapport quasi-scientifique, expérimental, à la norme. 

1 commentaire:

  1. Le Sénat a publié un important rapport en 2007 sur la qualité de la loi, on le trouve en ligne à cette adresse : http://www.senat.fr/notice-rapport/2007/ej03-notice.html

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