La libre administration des collectivités territoriales est un principe général à valeur constitutionnelle du droit français. D'abord découvert par la jurisprudence, puis inscrit dans la Constitution, elle le caractère d'une liberté fondamentale, ce qui renforce sa protection juridique, notamment par le recours possible au référé-liberté. Tout ce qui relève des principes fondamentaux de la libre administration est de l'ordre de la loi, il revient donc au législateur d'en fixer les concours. Cette libre administration se déploie à plusieurs niveaux : juridique, politique et financière.
1/ La libre administration des collectivité territoriales est protégée par la Constitution et encadrée par la loi.
A/ L'origine du principe de libre administration est jurisprudentielle. Il a d'abord été dégagé par le Conseil constitutionnel (CC, 1979, Nouvelle-Calédonie), puis il a été inscrit dans la Constitution après la révision constitutionnelle de 2003 à l'art. 72 al. 3 C :
"dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences".
Le Conseil d'Etat a consacré la libre administration des collectivités territoriales comme une liberté fondamentale (CE, 2001, Commune de Venelles), ce qui permet de la protéger dans le cadre du référé-liberté. Introduit par la loi du 30 juin 2000, le référé-liberté prévu à l'art. L. 521-2 CJA, est permet d'obtenir du juge des référés rapidement (48 heures) "toutes mesures nécessaires" (notamment, une mesure de suspension ou une mesure d'injonction) si l'administration porte "une atteinte grave et manifestement illégale" au principe de libre administration.
B/ La Constitution renvoie à la loi pour la détermination les "principes fondamentaux (...) de la libre administration des collectivités locales, de leur compétences et de leurs ressources" (art. 34 C). Il revient donc au législateur de fixer les contours du principe de la libre administration des collectivités territoriales.
Plus généralement, le législateur a compétence pour tout ce qui concerne les collectivités territoriales :
- les règles électorales ;
- la détermination de leurs compétences ;
- le principe d'administration ;
- le régime financier.
La jurisprudence du CC et du CE a entendu largement cette compétence de la loi. Aucune contrainte d'aucune sorte ne peut être imposée par la voie réglementaire aux collectivités territoriales. Quelques exemples :
- CC, 1968, Loi relative aux évaluations servant de base à certains impôts directs locaux : seule la loi peut créer ou supprimer des ressources fiscales locales ;
- CC, 1971, Administration communale : seule la loi peut transférer à l'État des compétences exercées par une collectivité territoriale ;
- CC, 1988, Relation entre l'administration et le public : seule la loi peut obliger les collectivités territoriales et leurs établissements publics à motiver certaines de leurs décisions ;
- CE, 1972, Saingery : un décret ne peut modifier les pouvoirs des conseils municipaux ;
- CE, 1983, Mme Vincent : il appartient à la loi de fixer le délai de convocation des conseils municipaux et de préciser que ce délai est un délai franc.
Cependant, le principe de libre administration étant garanti par la Constitution, cette compétence du législateur ne peut s'exercer que dans le respect de celui-ci. Le CC a censuré plusieurs dispositions législatives imposant des contraintes jugées excessives aux collectivités territoriales (CC, 1993, Loi relative à la prévention de la corruption). De manière générale, le législateur doit respecter les autres règles et principes constitutionnels, notamment le principe d'égalité, sous peine de voire ses propositions de loi censurées par le CC.
2/ Le principe de libre administration s'accompagne de plusieurs garanties dans les domaines juridique, politique et financier.
A/ Tout d'abord, les collectivités territoriales sont dotées de la personnalité morale, ce qui leur confère une véritable autonomie fonctionnelle.
Cette indépendance organique leur permet de ne pas relever du pouvoir hiérarchique et disciplinaire du pouvoir central. En la matière, la liberté des autorités décentralisées est la règle, l'intervention de l'État est l'exception.
Ainsi, les collectivités territoriales :
- voient leur pouvoir de décision garanti par le droit d'ester en justice permettant d'obtenir la sanction d'un empiétement de l'autorité publique sur leurs compétences ;
- disposent également de prérogatives de puissance publique leur permettant d'imposer de manière unilatérale des obligations aux administrés par des actes administratifs unilatéraux, même si ce pouvoir reste limité (expropriation) ;
- bénéficient de la clause générale de compétence (art. 61 de la loi de 1884 : "le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune"), même si elles n'ont pas de réelle autonomie de gestion (soumission au droit de la fonction publique, de l'achat public, etc.), ni d'auto-organisation.
B/ Ensuite, les collectivités territoriales sont gérées librement par des conseils élus au suffrage universel dans le cadre déterminé par la loi. L'élection garantie un pouvoir de décision propre, indépendant du pouvoir central.
Elles disposent d'une vocation générale pour les affaires intéressant leur population et leurs intérêts propres.
Elles sont indépendantes les unes des autres. Cette indépendance est consacrée par l'art. 72 C car "aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre". Toutefois, pour des raisons pratiques, la notion de chef de filat permet d'organiser leur coopération :
"lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune" (art. 72 al. 5 C).
Le CC veille au respect de ces dispositions et précise que si elles autorisent la loi à désigner une collectivité territoriale pour organiser les modalités de l'action commune de plusieurs collectivités territoriales, elles n'autorisent pas cependant de laisser se charger une collectivité de la définition de ces modalités (CC, 2008, Loi relative aux contrats de partenariat).
C/ Enfin, la Constitution garantit l'autonomie financière des collectivités territoriales, ainsi que l'autonomie de recrutement et de gestion de leur personnel.
Les collectivités territoriales "bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi" (art. 72-2 al. 1 C). Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toute nature et la loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.
Ce régime financier permet à la loi de prévoir des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales.
Depuis la révision constitutionnelle de 2003, la Constitution énonce plusieurs règles importantes pour la réalité de l'autonomie financière des collectivités territoriales (art. 72-2 C) :
- Al. 2 : la loi peut autoriser les collectivités à moduler le taux (déjà le cas), mais aussi l'assiette de leurs impôts ;
- Al. 3 : "les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources", dans des conditions fixées par une loi organique (le législateur doit donc tenir compte de l'autonomie financière des collectivités territoriales) ;
- Al. 4 : "tout transfert de compétences (…) s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes" ; "toute création ou extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnées de ressources déterminées par la loi". Cela signifie que toute charge nouvelle liées à la création ou au transfert de compétences de l'Etat aux collectivités territoriales doit s'accompagner des ressources équivalentes ;
- Al. 5 : "la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales". La prévision de dispositifs de péréquation destinés à corriger des inégalités de ressources entre collectivités territoriales permet de limiter une inégalité trop importante entre les collectivités territoriales qui serait à terme liberticide (pour assurer une réelle liberté de gestion aux collectivités territoriales, elles doivent bénéficier de marges de manœuvre financières).
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