vendredi 20 novembre 2009

Le droit interne et les actes communautaires

Daniel Cohn-Bendit en mai 68.
Dans la hiérarchie des normes nationales, le droit dérivé européen a la même valeur que le droit international. La jurisprudence du Conseil d'Etat va dans le sens d'une reconnaissance progressive de la supériorité des règlements et des directives d'origine communautaire sur les lois.

L'arrêt Nicolo (CE, 1989, Nicolo) signe la reconnaissance par le CE de la supériorité des traités sur les lois. En d'autres termes, le droit originaire communautaire prime sur les dispositions législative prises par le Parlement français. Mais qu'en est-il du droit dérivé (le droit produit par les institutions européennes) ?


1/ Parmi les actes réglementaires de la communauté, on trouve les règlements et les directives.


A/ Les règlements européens sont directement applicables dans l'ordre juridique interne et ne génèrent pas de conflits avec les dispositions normatives des ordres nationaux. L'arrêt Boisdet du Conseil d'Etat reconnaît sans difficultés que les règlements communautaires ont une supériorité sur les lois, mêmes plus récentes (CE, 1990, Boisdet).


B/ Le cas des directives européennes est plus délicat parce qu'elles laissent la liberté aux Etats de transposer le texte dans l'ordre interne au moyen d'une loi ou d'un décret. L'art. 249 TCE rappelle qu'une directive lie tous les Etats membres tout en laissant "aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens".

En outre, la distinction de la directive et du décret communautaire est rendue assez floue par la rédaction, de plus en plus souvent précise, des directives (le but étant de laisser une faible marge de manœuvre aux instances nationales quant au choix des modalités d'application de la directive).


2/ Sur la question de savoir si une directive est supérieure ou non à la loi nationale, les jurisprudences de la Cour de justice européenne (CJUE) et du Conseil d'Etat (CE) sont donc, un temps, demeurées contradictoires.


A/ Tout d'abord, les jurisprudences se sont opposées. Si la CJUE juge qu'une directive même non transposée, peut s'appliquer si elle est suffisamment précise directement dans les Etats membres (CJUE, 1970, Société SACE et CJUE, 1974, Van Duyn), le CE dans l'arrêt Cohn-Bendit (CE, 1978, Ministre de l'intérieur c/ Cohn-Bendit) suit une autre voie. Le CE estime qu'un justiciable, en l'espèce Daniel Cohn-Bendit, ne peut pas invoquer une directive pour contester une décision administrative, même si l'État n'a pas respecté son obligation de transposition. Daniel Cohn-Bendit s'est en effet opposé au refus d'abrogation de l'arrêté d'expulsion sont il avait été l'objet en 1968. Il donne ainsi l'occasion au Conseil d'Etat de rappeler que, sans des mesures nationales de transposition, une directive n'a aucune portée légale pouvant motiver l'abrogation d'un arrêté.


B/ Par la suite, les jurisprudences se sont rejointes. La CJUE nuance sa position dans un nouveau jugement du 5 avril 1979 (CJUE, 1979, Ministère public c/ Tullio Ratti). Elle estime alors qu'une directive n'obtient un effet direct qu'une fois le délai imparti pour sa transposition dépassé.

De même, le CE accorde une portée plus large aux directives, même non transposées. Il considère notamment que tout acte réglementaire national contrevenant à une directive doit être modifié (CE, 1989, Compagnie Alitalia).

Trois ans plus tard, le CE accepte de faire prévaloir la directive sur la loi à compter du dépassement de son délai de transposition (CE, 1992, Sociétés Rothmans International et Philip Morris).

Enfin, le CE estime que cette prévalence de la directive s'étend à toute règle de droit interne (CE, 1998, Tête). Dès lors, la jurisprudence Cohn-Bendit est écartée de fait au profit de la portée des directives en droit interne.

Récemment, un arrêt a définitivement mis fin à la jurisprudence Cohn-Bendit. Le Conseil d'Etat reconnaît l'effet direct des directives, ce qui permet à tout justiciable de se prévaloir des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif (CE, 2009, Emmanuelle Perreux). Il reconnait donc, de droit, la supériorité des directives sur les actes administratifs nationaux une fois le délai de transposition dépassé.

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